3. Une aidante soutenue par différentes ressources psycho-spirituelles   (Chapitre 10)  Imprimer
Résumé
On découvre comment Mme Vandaele, épouse d'un homme qui a depuis longtemps souffert de troubles psychiatriques auxquels s'est ajoutée depuis peu une démence fronto-temporale, a fait face à cette expérience d'une vie avec la maladie de son mari : une thérapie individuelle, un engagement militant et des ressources spirituelles. Cet itinéraire peut être utilement situé par rapport aux formes contemporaines de spiritualité développées au chapitre 10 (en particulier aux pp. 245-247) tout en présentant une ouverture au collectif (via son engagement militant) qui y est peu apparue, au moins dans le champ du soin.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Soutien spirituel
  • Thème(s) : Rythme de vie des proches
  • Concept(s) : Agentivité, Capital émotionnel, Dimension politique du soin, Division genrée du travail de care, Expérience, Modalités du croire contemporain
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr et Mme Vandaele
  • Date d'observation: 2011/2012
  • Numéro de page du livre : 245-247
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Van Daele a 67 ans, son mari 65. Quand je les rencontre (en 2011), Mr Vandaele a été diagnostiqué comme ayant une démence fronto-temporale il y a un an, diagnostic qui s'ajoute à des troubles psychiatriques (dépression, paranoïa, anxiété) l'ayant écarté de son emploi pour invalidité depuis qu'il a 43 ans. Le changement le plus manifeste – et le plus problématique – associé à ce nouveau diagnostic est l'agressivité de Mr Vandaele qui explose régulièrement dans les lieux publics à l'égard des passants, de façon telle que son épouse, après de multiples épisodes, et sur le conseil de la police qui est intervenue à plusieurs reprises, n'ose plus le laisser sortir seul ni le laisser seul à leur domicile. Or depuis la pension – elle était infirmière – elle a développé de multiples activités, de loisir et d'engagements en dehors de chez elle. Elle cherche depuis plusieurs mois, en vain vu le double diagnostic de son époux, un centre de jours puis une MR(S) ou une MSP qui puisse l'accueillir. Elle a trouvé un service de gardes à domicile qui viennent une fois, puis deux fois par semaine pendant 4 heures. C'est finalement à Bruxelles que Mme Vandaele trouvera une MR(S) où Mr entrera en février 2012.
Contexte Méthodologique
C'est par le service de gardes que j'ai pu entrer en contact avec Mr et Mme Vandaele. J'ai rencontré deux fois Mme Vandaele à son domicile, une fois avant, une fois après l'institutionnalisation de son mari. J'ai accompagné une garde durant une matinée que nous avons passée avec Mr Vandaele. J'ai assisté à une réunion de l'équipe des gardes qui interviennent chez eux et eu plusieurs contacts téléphoniques avec l'assistante sociale chef de l'équipe. En 2016, j'ai rencontré fortuitement Mme Vandaele dans une réunion ce qui m'a permis d'avoir de leurs nouvelles. Je lui ai restitué une première analyse suite à quoi elle m'a répondu, très touchée par mon récit de leur expérience.
Vignette

Lors de notre seconde rencontre, Mme Van Daele m'explique tout le chemin qu'elle a dû faire pour retrouver un équilibre suite aux problèmes de santé mentale de son mari et la reconnaissance de son invalidité :

« Je me souviens très bien que je me suis dit "c'est pas vrai, il ne va pas rester à la maison jusqu'à sa pension !" Ça pour moi, c'était impossible. Donc première étape pour moi c'était avoir un mari à la maison tout le temps, donc pas le fait qu'il soit là mais le fait qu'il ne retournerait plus jamais travailler, ça pour moi c'était impensable. Donc là, j'ai commencé une thérapie et là j'ai vraiment dû comprendre, accepter, voir, changer, que lui c'était lui, moi c'était moi, que je m'occupais de moi, c'est aussi tout le moment où j'ai compris que je devais prendre du temps pour moi. Parce que ça je n'avais pas compris, hein! Une femme, c'est le mari, les enfants d'abord, et puis voilà…ça va j'avais ma profession quand même donc j'aimais beaucoup mon travail et tout ça mais enfin, bon quand j'ai compris que c'était deux personnes distinctes, que je devais vraiment m'occuper de moi, j'ai commencé à ce moment-là à faire des choses pour moi, rien que pour moi (…) mais quelque part, avec le recul, j'ai toujours dit, grâce à la maladie de mon mari, je disais bien pas « à cause d'elle », mais « grâce à » la maladie, j'ai suivi cette thérapie, je me suis ouverte à plein d'autres choses ce que je n'aurai jamais fait avant. En fait, c'était mon mari, mes enfants, ma profession d'accord, et voilà! Et du coup je me suis intéressée à plein d'autres bazars. Et alors, j'ai toujours du, euh, imposer mon autonomie càd que mon mari disait toujours "mais non, n'y vas pas, n'y vas pas, reste ici " et moi je disais "non, j'ai le droit de..." et encore c'est mon thérapeute qui n'arrêtait pas de me dire "tu as le droit de, tu as le droit de..." Parce que si on ne me l'avait pas dit, je ne pouvais, enfin, je ne savais pas le faire. (…) Et donc, depuis lors, je me suis engagée dans plein de choses, que j'aime bien, qui me tiennent à cœur, soit des loisirs soit des engagements et voilà. »

En ce qui concerne ses engagements, Mme Vandaele milite dans des organisations défendant les malades mentaux, avec son mari tant que cela a été possible pour lui, :

« J'y vais pour défendre, non pas mon mari mais les futurs malades mentaux (…). Vu la non-acceptation globale de la société que je ne supporte pas, je reste dans 4 projets. Pour mon mari, et ceux que je ne connais pas.

Outre sa thérapie, elle s'appuie sur des techniques apprises dans un champ à l'intersection du développent personnel et de la spiritualité : méditation, yoga, communication non-violente. Son ouverture à différentes traditions spirituelles – j'observe chez elle un crucifix, un tableau de philosophie chinoise et quelques aphorismes bouddhistes – est assez typique des formes contemporaines de spiritualité. Quand dans un premier temps, elle n'a eu accès qu'à une demi-journée de présence des gardes, c'est d'abord son yoga qu'elle a « sauvé », tant il compte pour elle.

Cette façon de vivre avec la maladie m'a touchée et j'entends Sophie, la garde rwandaise avec laquelle je passe les 4h de sa garde, partager ce sentiment. Sans que je ne l'interroge à ce sujet, elle me dit admirer Mme Vandaele, qui sait à la fois prendre soin de son mari et d'elle-même. Sophie m'en parle dans le contexte d'un échange où elle compare la manière dont « on » (les femmes) s'occupe des vieux dans son pays (le Rwanda) et la Belgique. Ce qu'elle découvre par Mme Vandaele, c'est une façon de se soucier d'autrui sans pour autant se sacrifier (la séance de yoga à laquelle Mme Vandaele participe grâce au temps de garde semble lui parler beaucoup de ce point de vue). Si Sophie a été si prolixe ce jour-là à propos de la comparaison entre l'aide apportée par les femmes au Rwanda et en Belgique, en les élaborant, c'est sans doute que l'exemple de Mme Vandaele était à ses yeux inspirant.