1. Une expérience jusqu'au bout   (Chapitre 3)  Imprimer
Résumé
Mme Van Bol me raconte au téléphone les derniers jours de la vie de son mari. Ce récit permet de mettre en évidence la portée à la fois matérielle et symbolique des soins de base, l'expérience que son mari a pu faire du soin et la façon dont elle-même a pu « performer » le respect, toutes choses que l'on a pu développer dans les observations relatées aux pp. 80-86 lors des mois ayant précédé la mort de son conjoint.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Fin de vie
  • Thème(s) : Fin de vie
  • Concept(s) : Expérience, Figures du respect, Performance
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr Van Bol
  • Date d'observation: mai 2013
  • Numéro de page du livre : 0
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Quand je rencontre Mr et Mme Van Bol en octobre et décembre 2012, ils ont alors tous les deux 58 ans. Monsieur décèdera en avril 2013 après dix ans de maladie, le diagnostic de maladie d'Alzheimer ayant été posé trois ans après les premiers symptômes. Les Van Bol vivent dans une maison bel étage, avec trois pièces en enfilade, située au sein d'un quartier modeste de Bruxelles. A front de rue, dans ce qui était le salon, un lit médicalisé pour Mr Van Bol ; côté cour, une cuisine dans laquelle a été installée une douche et où nous nous tiendrons lors de nos rencontres, au milieu, un salon télé avec un ordinateur. A mon arrivée, je constate que l'escalier qui conduit au bel étage a été équipé d'un monte-escalier électrique ; le mur n'a pas été replafonné. J'apprendrai que les travaux (la douche et l'escalier) ont été effectués par le frère de Mme Van Bol. Monsieur est d'origine néerlandophone. Il a travaillé comme voyageur de commerce avant de devenir cadre dans une société d'assurances. Madame appartient à la seconde génération de l'immigration italienne (son père était mineur) ; au moment des rencontres, elle travaille à mi-temps au service comptabilité d'une entreprise de la grande distribution sans avoir de titre scolaire spécifique, ayant commencé à travailler très jeune. Ils ont trois enfants, de jeunes adultes, dont une fille qui habite à l'étranger. Les trois jours où Mme Van Bol travaille – de 7 à 14h – des infirmières viennent faire la toilette de son mari et des gardes à domicile assurent une présence.
Contexte Méthodologique
J'ai passé deux matinées avec eux (7h d'observation), assistant au lever, au petit-déjeuner et à la toilette de Mr Van Bol tout en discutant avec son épouse, puis une demi-heure au téléphone après le décès de monsieur. D'autres temps de rencontre et d'observation étaient prévus qui ont été annulés suite au décès.
Vignette
Le récit que Mme Van Bol me fait spontanément des derniers jours de son mari condense l'essentiel de ce que nous avons observé du soin décrit dans la première partie du chapitre trois (au téléphone, mai 13) : « Le dimanche, on a encore fait un tour du bloc. Le lundi, il était fort fatigué. Il a seulement bu un jus d'orange, mangé un peu de cramique. Je lui ai encore donné sa douche, mais il a passé toute la journée au fauteuil. Le soir, il a pris un Fortimel. (…) Le mardi [jour qui s'avèrera être celui de sa mort], l'infirmière est venue et l'a lavé complètement. (…) D'un côté, c'est bien que ce soit fini comme ça. En ayant marché jusqu'au bout, sans escarres. Il est mort propre, beau, sans blessure. Finalement, dans notre malheur, il est mort dignement. » Moi : « Vous avez pu communiquer avec lui ? » Mme Van Bol : « C'est difficile à dire. (…) Le dernier dimanche quand il était encore bien [10 jours avant sa mort], à un moment où j'étais derrière lui – de peur qu'il tombe en descendant dans la cour - il s'est retourné et m'a regardé comme s'il me reconnaissait. Il m'a serrée dans les bras. Deux fois. « Quelle force » je me suis dit. On dit toujours que les grands malades sentent qu'ils vont mourir. J'ai eu cette chance qu'il me dise au revoir. Le dimanche d'après, on était tous autour de lui avec les enfants, il nous a regardé mais vraiment, chacun à notre tour. Comme s'il nous prenait avec lui. Bizarre, avec son Alzheimer. On se l'est dit, mes enfants et moi. C'est en tout cas comme ça que je l'ai interprété. » On retrouve, à l'entame de ce récit, la portée à la fois matérielle et symbolique donnée aux soins de base : être mort propre, beau, en ayant marché jusqu'au bout, c'est être mort dignement. Le pouvoir d'agir de Mr Van Bol fait également partie de cette dignité mais il faut ma question pour que Mme Van Bol revienne sur ce que son mari lui a donné. Elle explicite alors très clairement son attention aux gestes qu'il a posés et aux signes qu'il a donnés. Mr Van Bol est reconnu comme un interactant apte à manifester sa reconnaissance et son adieu. Cela n'empêche pas Mme Van Bol de rester prudente quant au statut des interprétations qu'elle et ses enfants ont posé en situation (« Bizarre, avec son Alzheimer »).