Une intervision/intervention miraculeuse ?   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Suite à la dernière intervision où l'équipe a travaillé avec le psychologue sur la situation de Mme D., une femme malade d'Alzheimer qui malmène les gardes, celles-ci n'en reviennent pas : depuis lors, Mme D. est charmante avec elles. Est-ce seulement l'effet du travail collectif en intervision ou quelqu'un est-il intervenu auprès de Mme D. ?
Description
  • Types d'acteurs : Chef.fe d'équipe, Garde à domicile, Psychologue
  • Type d'acte : Réunion d'équipe
  • Thème(s) : Tension professionnel/personne aidée
  • Concept(s) : Récit
  • Lieu d'observation: Réunions en dehors du temps de soin
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Date d'observation: 22/05/22
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Une OSD offrant des services d'AVJ a saisi l'occasion du Plan Alzheimer wallon (2011-2013) pour proposer un projet-pilote : un service de gardes spécialement formées pour l'accompagnement des malades d'Alzheimer (40h de formation, des réunions d'équipe et une intervision avec un psychologue), avec à terme l'occasion de prester des gardes de « nuit » (après 20h ; des négociations étaient en cour avec les syndicats). L'équipe est constituée de 10 gardes, qui ont toutes une formation initiale d'aide familiale. La réunion d'équipe commence ce jour-là par un échange autour du photogramme, utilisé pour repérer les éléments-clés de la situation, puis par des échanges autour des situations qui sont considérées comme problématiques par les professionnelles. Dans l'extrait de la réunion proposé, il est question d'une femme très difficile dont il a été question lors de la dernière réunion d'intervision.
Contexte Méthodologique
J'ai eu 2 réunions avec les responsables du projet-pilote et j'ai suivi une réunion d'équipe de gardes dont j'ai accompagné certaines chez des « bénéficiaires ».
Vignette

La cheffe : « Je voudrais revenir sur la situation par rapport à laquelle vous avez eu intervision (Madame D.)». Une garde : « Ah, c'est pas possible, il y a eu quelque chose d'autre, c'est pas possible autrement ». La cheffe : « Comment ça ? Avant, c'était difficile ? ». La même garde : « Non, c'était pas difficile, c'était catastrophique ! Et après l'intervision, j'y suis retournée, j'avais mal au ventre de stress. Je me suis dit : j'y vais comme dame de compagnie, j'ai pris mes livres, si je reste juste à lire sur une chaise, tant pis, je ne fais pas attention à ce qu'elle dit. J'étais bien décidée à ne pas entrer dans des débats. Et puis elle m'attendait toute souriante sur la terrasse : comment ça va ? euh, bien. Est-ce qu'il y a du monde sur les routes ? … oui…. Elle me dit : « On m'a dit que je devais être gentille et correcte avec vous, on m'a dit que je devais me reprendre. » Elle m'a parlé d'un Monsieur qui est venu la voir, qui a lu nos cahiers, « et il a bien ri de toutes vos fautes dedans », mais je ne sais pas qui est allé la voir. Et puis au goûter, elle me dit : « viens voir ce que j'ai pour toi », et elle me propose des profiteroles au chocolat. Donc, elle se souvenait bien que j'aimais le chocolat. Elle était tout sourire, et moi, j'avais l'impression d'être dans une autre maison, avec une autre Madame. Je lui ai dit merci, j'ai passé une très bonne journée, c'est très agréable quand ça se passe bien. Elle m'a répondu : « Moi aussi, j'ai passé une bonne journée, merci beaucoup et faites bonne route ». Quand je suis arrivée à ma voiture, j'en ai pleuré. J'ai du téléphoner à Leslie (une collègue) pour lui en parler. Il y a eu quelque chose, mais quoi ? ». On fait différentes hypothèses : le directeur du service ? le psychologue qui a mené l'intervision ? Peut-être que ce qui s'est dit en intervision l'a intrigué et qu'il a voulu se rendre compte ? La cheffe n'est pas au courant. Toujours la même garde : « Donc, pour elle, c'était bien aussi ! Elle m'a demandé quand je revenais. Je lui ai dit : « Autant continuer comme ça » ». Récit similaire d'une autre garde : « J'ai juste du la remettre en place au niveau de la politesse, lui faire dire merci. Le psychologue nous avait dit de faire comme ça, de la cadrer, et de jouer sur la plaisanterie. Et pour le reste, elle était charmante », « Ou alors, c'est nous qui sommes allées avec un regard complètement différent ? », « Non, c'est avant même qu'on ouvre la bouche ! Il y a eu quelque chose ! ». La cheffe :« Avez-vous vu sa fille depuis ? ». Une garde :« Oui, mais elle dit qu'elle ne lui a rien dit de plus que d'habitude », « … mais je sais qu'avec l'autre service (les AF), ça va moins bien en ce moment… », « …ah, chacun son tour… », « J'ai lu le cahier des aides familiales, et Madame m'a dit : ah, vous avez le droit de lire ça, vous ? « . La cheffe : « Oui, bien sûr, vous avez le droit de lire le cahier des aides familiales, et celui des infirmières, tout ce qui donne des informations sur la prise en charge ». Récit de la même veine d'une troisième garde. Les gardes insistent pour savoir si la cheffe sait quelque chose. Une des gardes intervient : « Moi, je crois que moralement, on s'est toutes remises à niveau. Et ici, pour une fois, en intervision, on est sorties avec des pistes », « Oui, mais Madame D. nous attendait sur la terrasse, ça ne peut pas être uniquement notre attitude ! ». La cheffe rappelle : « Donc, Madame D., il faut la cadrer, sinon, d'après le psychologue, elle serait arrivée à créer un conflit, à mettre les filles l'une sur l'autre. » On se méfie un peu aussi que l'amélioration soit seulement temporaire. « En tout cas, si elle a changé envers nous toutes, et qu'elle dit que quelqu'un lui a parlé, je la crois, car c'est une personne qui ne ment pas, et je dis merci à cette personne, quelle qu'elle soit », « Elle a parlé aussi de la question des toilettes, elle m'a proposé d'y aller, alors qu'elle ne voulait jamais qu'on les utilise, donc quelqu'un lui a rapporté les points évoqués en réunion, c'est pas possible autrement ! », « Ou alors, le psychologue aura fait un retour au docteur Fr., qui est aussi dans le comité de pilotage et qui est le médecin de Madame D. ? », « C'est vrai que le psychologue avait dit qu'il faudrait intervenir si la situation ne s'arrangeait pas, surtout quand il a vu tes mains (la garde qui s'est le plus exprimée a les mains remplies d'eczéma, qui semble lié au stress de la situation) ! Il voulait demander à la fille une réévaluation par le neurologue, parce qu'elle n'était plus suivie, Madame D. » On évoque encore d'autres hypothèses : « Ou alors elle a pété une case », « Ou alors il lui a fallu du temps pour accepter tous les services ». La cheffe conclut : « En tout cas, dès que vous sentez qu'il y a quelque chose qui ne va pas, vous envoyez un courriel. Dès qu'il y a quelque chose de difficile, là ou ailleurs, il faut le dire ! ça met parfois du temps pour mettre en place un suivi ou une intervision, alors il ne faut pas hésiter ».