L’angoisse d’être seul   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
On retrouve Véro, l'aide familiale de référence de Mr Leroy (décrite comme « gouvernante » @ 7.4) autour des décisions à prendre concernant le maintien au domicile de Mr Leroy : le fait qu'il vive seul et soit anxieux la nuit sans avoir les moyens de payer une garde, la présence de voisins peut-être malveillants, un fils dont il a peur sont quelques-uns des éléments qui interviennent, sans que la voix de Mr Leroy ne soit entendue à propos de ces décisions cruciales pour lui.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale, Assistant·e social·e, Infirmier.ère
  • Type d'acte : Aide à la vie journalière
  • Thème(s) : administrateur de bien, mauvaises relations personne aidée/proche, sans proche cohabitant
  • Concept(s) : Expérience, Gouvernante
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Wallonie
  • Pseudo: Mr Leroy
  • Date d'observation: octobre 2011/août 2012
  • Numéro de page du livre : 0
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Mr Leroy, 72 ans au début de l'enquête en 2011, vit dans une petite maison qu'il loue dans le centre d'un village en périphérie de Charleroi. Il y est installé dans un grand dénuement : dans la pièce principale qui tient lieu de séjour, de chambre et de salle à manger, le sol en linoléum est plus qu'usé, découvrant par endroits le plancher ; la salle de bains est installée dans un recoin de la cuisine, elle-même construite dans une annexe très mal isolée (la porte vers la cour ne ferme pas, l'aide familiale a bouché un trou gros comme le poing avec de vieux journaux). Il se situe dans une frange précarisée du monde ouvrier : d'abord manœuvre dans une usine, il est devenu l'homme à tout faire de l'orphelinat local suite à un accident du travail. À la mort de son épouse il y a huit ans, les choses commencent à se dégrader et Mr Leroy est diagnostiqué malade d'Alzheimer. En l'absence de proche fiable (« un fils qui n'est pas vraiment son fils » ferait de rares apparitions dans le seul but de soutirer de l'argent à Mr Leroy qui en a peur), le médecin traitant demande l'intervention des aides familiales d'une OSD publique. Monsieur Leroy bénéficie quotidiennement de la visite d'une infirmière pour la toilette et la prise de médicaments (sauf les week-ends), du passage d'une aide familiale pour le « maintien » et la livraison d'un repas chaud par le CPAS. Une à deux fois par semaine, la prestation de l'aide familiale est plus longue, pour assurer l'entretien du linge et de la maison. Juridiquement, Monsieur Leroy est placé sous administration de biens.
Contexte Méthodologique
L'enquête s'est étendue du 20 octobre 2011 au 23 août 2012 et a pu être menée suite à l'introduction donnée par l'OSD qui intervient chez Mr Leroy. J'ai rencontré celui-ci avec son aide-familiale à deux reprises et l'ai retrouvé pendant 2 journées au centre de jour qu'il a fréquenté à partir du printemps 2012.
Vignette
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Ce matin-là [où je passe la matinée avec Véro chez Mr Leroy, au début en présence de l'infirmière], l'infirmière et l'aide familiale échangent également beaucoup à propos des « bruits de la nuit ». Les voisins se plaignent que Monsieur fait trop de bruit : « C'est vrai, je ne nie pas qu'il crie, en fait, il n'est pas bien quand il est tout seul. » Mais on soupçonne le voisinage d'exagérer beaucoup. Le propriétaire possède également un commerce dans l'immeuble contigu : l'enjeu serait d'essayer de faire placer Monsieur (protégé par la tutelle contre un préavis) pour récupérer la maison et étendre le commerce. L'infirmière et l'aide familiale voudraient pouvoir objectiver la situation. Le médecin a conseillé de l'enregistrer la nuit, « pour voir », mais le gestionnaire se fait tirer l'oreille pour acheter un dictaphone. L'autre piste est de faire venir une garde-malade pour quelques nuits. L'aide familiale et l'infirmière privilégient cette solution, car Monsieur semble avoir fait un petit malaise pendant une nuit et la présence d'une garde lui ferait aussi de la compagnie. L'aide familiale prend les choses en main : elle téléphone à l'assistante sociale et demande l'autorisation de recourir à une garde malade. Avec l'accord de l'assistante sociale, elle téléphone immédiatement à un service de garde malade. Il n'y a pas d'urgence, on lui enverra quelqu'un dès que possible. L'aide familiale me précise : « comme c'est pour le bénéficiaire, je me permets d'utiliser son téléphone. »

Quelques semaines plus tard, lors de l'entretien avec l'assistante sociale responsable de l'équipe des aides familiales, j'apprends que la situation de Monsieur Leroy a évolué : « Récemment, on a fait intervenir l'ergothérapeute, car il y a un souci d'aménagement, vous voyez, n'est-ce pas, les marches pour aller vers les toilettes dans l'escalier de la cave. Monsieur a fait une chute, on va essayer d'améliorer cela avec un palier en bois. Ce sont toutes des petites choses qui prennent du temps : après la chute, l'infirmière m'appelle, on a fait venir l'ergo, qui fait un rapport, qu'on envoie à l'administrateur de biens. L'administrateur ne reçoit pas le fax, on s'en aperçoit seulement après quelques jours. Puis on demande un devis à Proxi-services, c'est une entreprise d'économie sociale, qui travaille selon les revenus des gens. On a l'accord du propriétaire, car on va faire quelque chose d'amovible. Puis il faudra attendre l'avis de l'administrateur de biens sur le devis. C'est lourd parce qu'il n'y a pas de proche sur qui on peut compter. Il y a un fils, enfin, un fils … c'est une relation, disons … toxique… Pour Monsieur Leroy, l'enjeu, c'est de pouvoir le maintenir dans sa maison, où il a vécu avec son épouse, ça, pour lui, c'est important, … mais dans de bonnes conditions sanitaires, de sécurité et aussi de bien-être. Les limites ? On sent que l'état de santé de Monsieur évolue beaucoup en ce moment, il a de plus en plus d'hallucinations, il commence à faire des chutes aussi, il angoisse aussi du fait d'être tout seul. Suite aux plaintes des voisins, un garde malade a passé quelques nuits. Ça s'est très bien passé, il n'a rien constaté de particulier. Monsieur Leroy a trouvé ça chouette, même, il est demandeur … mais financièrement, ce n'est pas possible. Ici, on est en train de faire des démarches pour voir s'il pourrait aller au Centre de jour. Il pourrait aller avec le minibus, ou une aide familiale le conduirait. On a demandé l'accord de l'administrateur de biens. C'est l'aide familiale qui fait toutes les démarches administratives. Monsieur souffre de la solitude, et il l'exprime. Avec l'infirmière, on a essayé d'organiser un deuxième passage, mais ce n'était pas mieux, ça lui donnait des angoisses de voir beaucoup de monde entrer et sortir, alors on a stoppé. En ce moment, on va plutôt vers un glissement des heures d'aide familiale vers l'après midi, pour répartir le temps de présence. Donc, on est toujours en train de moduler, d'adapter. On essaie de ne pas multiplier le personnel, de ne pas envoyer des gens qu'il ne connait pas ».

Sur la suggestion de l'assistante sociale, quelques semaines plus tard, je prends contact par téléphone avec l'aide familiale. Elle semble très contente que je prenne des nouvelles et me détaille la situation de M Leroy, notamment à propos de son état de santé et de travaux prévus pour sécuriser l'accès aux toilettes : « Ah, ben on a eu l'autorisation du gestionnaire pour les travaux, mais il faut encore que l'ergo revienne, donc les travaux ne sont pas encore faits, c'est long, hein, ici… Sinon, il est de plus en plus perturbé… Dernièrement aussi, il a été hospitalisé pour une résection de la prostate. Je suis allée chez l'urologue avec lui. L'urologue m'a dit de décider, je crois que j'ai bien fait. Mais depuis qu'il est revenu, il est fort perturbé. Evidemment, quand il n'est plus dans ses habitudes, comme l'hospitalisation, ça n'aide pas. C'est tout un travail à recommencer. Mais j'ai pris rendez-vous avec le neurologue, parce que je crois quand même que si ça ne va pas mieux, je vais devoir demander à le placer… Parce qu'il est tout seul… On a demandé une réunion de coordination, tout le monde était là sauf le médecin traitant et le gestionnaire de biens, alors … Et puis le fils est venu la semaine passée quand on n'était pas là, il a tout retourné pour trouvé de l'argent, donc il est fort stressé : on doit recommencer tout un travail… »

[août 2012, avec Véro chez Mr Leroy] Depuis quelques semaines, Monsieur Leroy va également une fois par semaine au Centre de jour : « Pour moi, venir ici tous les jours, ça devenait trop lourd, et puis pour Jocelyn, ce n'est pas bon, il a besoin d'une vie sociale, il doit voir d'autres personnes que moi. J'ai même hésité à demander à ce qu'il aille en MR… Alors on a pensé au Centre de jour. Il s'y plait bien, ça va bien. Ce jour-là, il n'y a pas de repas du CPAS ni d'aide familiale, donc, au niveau du coût, ça va. Ici, on va essayer une deuxième journée par semaine, le jeudi. On m'a téléphoné pour dire qu'il y avait une possibilité, mais il fallait donner réponse avant 11 heures. Evidemment, il n'y avait personne ce jour-là au bureau. Alors, la secrétaire m'a dit : « Véro, est-ce que tu trouves que c'est une bonne chose pour Monsieur Leroy, est-ce que ça va lui faire du bien ? », « Je crois que oui ! », « Et bien alors, prends la décision et dis-leur que c'est OK ». Et voilà. Maintenant, le souci, c'est que ce n'est pas évident d'organiser deux jours de suite au Centre de jour, je vais essayer de garder un « maintien » le mercredi soir, car on ne peut quand même pas lui faire le mardi soir ses tartines du vendredi matin ! »

A ma connaissance, le choix d'aller en Centre de jour ou l'alternative du placement en MR n'ont jamais été discutés avec Mr Leroy lui-même. C'est Véro qui semble y penser « à sa place » et « pour son bien ».