1. La recherche à Lotus : de l’enthousiasme au retrait   (Chapitre 10)  Imprimer
Résumé
Les modalités de ma participation sont détaillées ainsi que ma capacité à réellement m'immerger dans les formations suivies, selon leur thématique (en fonction de mon propre positionnement par rapport aux modalités du croire contemporain) et les moments où je les ai vécues. Les questions soulevées par la restitution sont abordées.
Description
  • Types d'acteurs : Association
  • Type d'acte : Immersion
  • Thème(s) : Enjeux éthiques-épistémologiques de la recherche
  • Concept(s) : Expérience
  • Lieu d'observation: Réunions en dehors du temps de soin
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Lotus
  • Date d'observation: de janvier 13 à novembre 14
  • Numéro de page du livre : 261
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Lotus (nom modifié) est une petite association belge, de formation récente quand j'en prends connaissance, qui organise des formations tout public mais de fait largement suivies par des soignant·e·s. Cette association est liée à une association française dont l'initiatrice est très présente dans l'association belge. Les techniques psycho-spirituelles (en particulier la méditation) et les ressources qu'elle diffuse sont inspirées essentiellement du bouddhisme et d'auteur e·s que l'on peut rattacher au développement personnel.
Contexte Méthodologique
Pendant le temps où j'ai côtoyé l'association belge, l'essentiel de ses activités a été l'organisation à plusieurs reprises d'un module de 10 jours de formation assuré par Annie, médecin généraliste fondatrice de l'association française auquel ont participé majoritairement des professionnel·le·s de la santé, quelques bénévoles œuvrant pour d'autres associations et des personnes « tout venant ». C'est à six de ces dix journées (rassemblant 15 à 30 personnes) que j'ai participé (entre janvier 2013 et novembre 2014), ainsi qu'à un week-end particulier consacré à l'euthanasie. J'y ai passé quatre nuits en résidentiel.
Vignette

C'est dans un séminaire universitaire que je rencontre Annie en 2012, invitée par une collègue dont une amie est assistante-formatrice. L'association belge étant à ce moment-là très récente (créée en 2011), son site ne donne pas d'informations sur les formations organisées ni d'adresse de contact, et je laisse tomber l'idée de les suivre, jusqu'à ce que le hasard d'une rencontre d'amis qui viennent de s'inscrire à une formation me permette de la rejoindre en dernière minute. Sans doute ces circonstances expliquent-elles le fait qu'au départ en tout cas, mon statut d'observatrice n'est pas aussi clair que dans les autres initiatives observées. Tout en annonçant dès mon arrivée que je participe à cette première journée dans le cadre d'une recherche et en vérifiant que cela ne pose pas problème, je paye le prix d'inscription (et je payerai toutes les formations auxquelles je participerai, comme les autres participant·e·s)[1]. J'explicite chaque fois le cadre dans lequel je viens mais je ne demande pas de pouvoir y participer gratuitement avec un statut de chercheuse contre un engagement de restitution par exemple. Néanmoins, dès la seconde journée, j'explicite clairement à la présidente du C.A. de l'association la perspective dans laquelle je participe, et nous discutons ensemble de la restitution future[2].

Quel a été mon mode de participation lors des journées de formation ? En apparence au moins, je participe comme les autres : je prends note aux moments où les participant·e·s le font (c'est-à-dire et de façon révélatrice d'ailleurs, dans les moments de mise en commun en grand groupe où Annie intervient, pas dans les échanges en sous-groupes) et participe activement aux exercices et aux échanges en petits-groupes (jamais en grands groupes sauf comme je l'ai signalé dans le texte à propos de la (non)prise en compte des conditions collectives du soin). Au-delà de ce mode de conduite – me conformer aux usages des participant·e·s – comment ai-je vécu les différentes propositions faites par Annie pendant les formations ? Dans la temporalité de ma participation d'abord, je suis au départ pleine d'enthousiasme à l'idée de faire ces formations (par attrait pour l'exotisme relatif du bouddhisme) et dans un premier temps charmée par la chaleur que dégage la communauté des participant·e·s et le charisme d'Annie. Peu à peu pourtant, le mode de fonctionnement de l'association où l'unanimisme limite l'intérêt des échanges et l'usage des jeux de rôle et d'exercices de développement personnel me lassent. Après six journées de formation (sur les dix offertes par l'association), je ne voyais donc plus l'intérêt de prolonger ma participation lorsque j'ai reçu l'invitation pour le week-end sur l'euthanasie. J'ai décidé d'y participer, pressentant qu'il m'apprendrait des choses nouvelles et fortes, ce en quoi je n'ai pas été déçue. 

Ma capacité à réellement m'immerger dans les différentes propositions faites durant les journées a donc été variable selon le moment où je les ai vécues mais aussi selon leur nature, en fonction de mon propre positionnement face aux recompositions du croire. Comme une majorité de mes contemporain·e·s, j'ai pris mes distances avec les dogmes et les pratiques rituelles la religion (catholique) qui m'a été transmise. Ceci dit, sans être une « chercheuse de sens », j'ai inscrit ma quête spirituelle (modérée) dans les marges de l'institution catholique[3] plutôt qu'en puisant dans les diverses spiritualités mondialisées qui circulent. J'ai donc pu vivre de l'intérieur les temps de méditation, ou certains des exercices proposés (comme la marche « en pleine conscience ») tout en étant peu intéressée par les textes divers sur lesquels nous devions échanger[4], partageant difficilement alors l'enthousiasme et la mine inspirée des participant·e·s. C'est sans doute avec les exercices proches du développement personnel que j'ai eu le plus de mal à jouer vraiment le jeu, du fait de mes dispositions d'intellectuelles prompte à y voir une simplification du moi et du monde, recul renforcé sans doute par mon expérience de la psychanalyse. Une fois que j'ai réalisé que l'expression en sous-groupe de mes réserves éventuelles par rapport à « la morale » (souvent largement fléchée) à laquelle nous étions censé·e·s aboutir créait un certain malaise, j'ai renoncé à les manifester, ce qui m'a ramenée à une position de fait plus proche de l'observatrice que de celle d'une participante.

Lorsqu'un an après ma dernière observation, mon analyse fût prête, s'est posée la question de savoir à qui j'allais la proposer. Ayant cité le travail de Catherine (l'animatrice des groupes de parole dont il a été question au chapitre 9 et que je retrouve là par hasard) et (initialement) d'une autre participante, il m'a semblé évident de la leur transmettre. Sans que je l'aie anticipé, il est apparu qu'elles semblaient avoir pris distance par rapport à l'association et, vais-je dire dès lors, partager mon regard sur le fonctionnement de celle-ci. De façon à proposer mon analyse à quelqu'un qui soit dès lors davantage en accord avec Lotus, je l'ai soumise à un membre du C.A avec lequel j'avais eu quelques fois l'occasion d'échanger. Comme on peut s'y attendre vu la place d'Annie dans l'association, le texte lui a été transmis, mon correspondant me proposant une date de rencontre à l'occasion d'un passage de celle-ci à Bruxelles.



[1] Lotus est aussi la seule initiative où cette question du paiement se pose, les autres lieux d'observation où je me suis rendue étant soit gratuits pour tou·te·s les participant·e·s (je pense à toutes les réunions d'équipe, aux lieux de parole, …), soit payants mais pour un public-cible auquel je ne corresponds pas (par exemple, être proche de malade pour la sophrologie, ou malade pour les centres de jour, la gymnastique, …).

[2] Au moment de celle-ci, la présidente du C.A. étant malade, le membre du C.A et Annie auxquelles je remets mon rapport se diront surpris d'apprendre le sens de ma démarche. L'information n'a donc pas circulé au sein du C.A. et sans doute le type d'adhésion que suscite Lotus rend presqu'incongru qu'on puisse y participer sous un autre mode. Notons que dans leur article déjà cité, I. Rossi et al. rapportent la même difficulté, le fait de participer – dans leur cas – à une formation de bénévoles ayant introduit la même ambiguïté et le même étonnement au moment de la restitution.

[3] J'ai ainsi fait plusieurs retraites en silence dans un monastère animées par un moine qui, initié à la méditation zen au Japon, propose des temps de méditation aux participant·e·s.

[4] En plus de ceux cités au cours du chapitre 10, il nous a été distribué en séance des textes de C. Rogers, M. Zundel, Chr. Singer, S. Rinpoche ou de Jijmé Tenpé Nyima.