3. Expérience de la recherche : problèmes et étonnement lors de la restitution aux OSD   (Chapitre 9)  Imprimer
Résumé
Différents enjeux éthiques et épistémologiques sont relevés, eu égard à l'accès au terrain, à mon mode de participation variable et à la restitution de mes analyses aux groupes concernés.
Description
  • Types d'acteurs : Chercheur·se, OSD
  • Type d'acte : Immersion
  • Thème(s) : Enjeux éthiques-épistémologiques de la recherche
  • Concept(s) : Expérience
  • Lieu d'observation: Réunions en dehors du temps de soin
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Date d'observation: d’octobre 2011 à décembre 2015
  • Numéro de page du livre : 243
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
L'expérience de la recherche dans trois types de collectifs soignants : les réunions d'équipe (organisées par les OSD sur le temps de travail des professionnel·le·s), les groupes de parole (organisées par les OSD en collaboration avec une association, sans obligation réglementaire mais reconnue comme temps de travail) et des intervisions (organisée par une association de coordination, pour des infirmier·ère·s indépendant·e·s devant payer pour y participer).
Contexte Méthodologique
J'ai assisté à 30 de ces réunions entre octobre 2011 et décembre 2015.
Vignette

Relevons quelques-uns des enjeux éthiques et épistémologiques ayant marqué mon rapport aux trois terrains dont il a été question dans ce chapitre. L'accès à chaque dispositif a été spécifique. Dès ma demande initiale aux OSD, j'avais exprimé le souhait de participer à une réunion de chaque équipe intervenant chez les personnes suivies au domicile.  Mon accès aux deux autres dispositifs tient davantage à des contacts liés à mon « engagement dans la cité » (D. Cefaï, op. cit.).

Comme avec les professionnel·le·s rencontré·e·s au domicile, le fait d'accéder au terrain par un accord des directions des OSD, puis des chef∙fe∙s d'équipe ou de l'animateur∙rice du groupe a conduit vraisemblablement à ce que je sois perçue comme « envoyée » de la direction ou proche d'elle, en tout cas dans les réunions d'équipe et le groupe de parole[1], d'où aussi l'absence d'objections à ma présence en dépit de ma demande d'accord.

Alors qu'en réunion d'équipe et dans le groupe de parole, j'étais une observatrice prenant des notes sans jamais intervenir, pendant l'intervision infirmière, l'animatrice m'avait demandé de participer comme les autres à l'échange autour des situations amenées. En relisant ensuite mes notes, j'ai été étonnée de voir à quel point mes interventions se fondaient dans celles des autres participant·e·s (sans rien apporter de spécifiquement pertinent, ai-je bien dû admettre avec une pointe de dépit). Paradoxalement dès lors, le fait de participer activement avec les autres membres du groupe a banalisé ma présence du fait de cette activité commune.

Il m'a semblé évident que s'il y avait restitution, ce devait être aux chef∙fe∙s d'équipe et aux animateur∙rice∙s, leur travail étant particulièrement mis en avant. Pour les réunions d'équipe, le sens de l'analyse ne pouvant être dégagé que d'un ensemble suffisant d'observations, transmettre celle-ci à chacune des cheffes concernées aurait été absurde. J'ai donc proposé une restitution à l'ensemble des cheffes d'équipe rencontrées dans l'OSD où ont eu lieu 11 des 19 observations de réunion d'équipe. Lorsque malencontreusement, je suis passée pour des raisons pratiques d'obtention d'adresses mails par les responsables des cheffes d'équipe, elles ont considéré comme allant de soi d'être présentes, ce que je n'avais pas prévu mais n'ai pas su refuser. Je me suis sentie coincée par rapport à ma ligne de conduite consistant à ne jamais restituer d'observations de partiques au·à un·e supérieur·e hiérarchique. Le jour de la réunion, l'essentiel de la discussion a porté sur la place des questions organisationnelles et politiques dans le dispositif et sur l'absence de lieu de participation démocratique dans l'OSD, alors que je ne m'attendais pas à rencontrer cet intérêt chez les cheffes d'équipe. Sans être la seule explication, cela tient sans doute pour partie à la présence des deux directrices, la réunion devenant une plateforme de revendications des cheffes d'équipe à l'égard de leur hiérarchie tout en détournant l'attention des facettes de mon intervention davantage focalisées sur leur travail en réunion. Pour autant, cet aspect n'a pas été absent – quoique je l'ai pensé dans un premier temps – mais il a pris la forme désarçonnante d'un récit. Après que j'aie présenté trois passages de réunion montrant le travail d'élaboration morale qui y étaient mené, une des cheffes, au lieu d'entrer dans un débat d'idées comme je m'y attendais, se mit à raconter une histoire qui lui était arrivée le matin même chez une bénéficiaire, où apparaissait une nouvelle déclinaison du travail d'élaboration morale que j'avais mis en évidence. Comme à Ste Monique, je n'ai pas saisi tout de suite que le récit ethnographique pouvait fonctionner comme les récits de pratique, permettant une compréhension dans laquelle le sensible et le particulier restaient présents et appelant d'autres récits, non le débat.

Si je n'ai proposé aucune restitution de mon analyse à l'un ou l'autre des collectifs de soignant·e·s rencontré·e·s, c'est peut-être qu'au-delà de la difficulté pratique à constituer un groupe significatif du travail mené sans être trop large, je n'ai pas été suffisamment convaincue de l'intérêt que les participant·e·s auraient trouvé à mon analyse et pour moi à bénéficier de leur regard que pour  chercher à obtenir l'accord des directions de consacrer une réunion (donc autant d'heures de travail) à cette restitution. Me suis-je ainsi conformée au caractère faiblement démocratique des OSD, tout en le contestant par ailleurs ?



[1] Dans l'intervision infirmière, le fait qu'il s'agisse d'indépendant·e·s sans lien hiérarchique avec la coordination par laquelle j'étais introduite a sans doute réduit l'impact de ce canal. D'autres participantes au statut peu clair étaient aussi présentes (responsable de services sociaux divers), diluant vraisemblablement l'étrangeté de ma présence.