4. Une gouvernante « cœur de beurre » sans mandat d’un proche : Valérie chez Mr Leroy   (Chapitre 7)  Imprimer
Résumé
On découvre le rôle joué par Valérie, une des aides familiales qui interviennent chez Mr Leroy et devient sa « gouvernante » (cf p. 164-168 ) auto-désignée, avec l'épuisement qui s'en suit, la disqualification de ses collègues et la prise de décision en dehors d'une consultation de la personne aidée.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale
  • Type d'acte : Soins intégrés
  • Thème(s) : Burn out, Sexualisation de la relation
  • Concept(s) : Gouvernante, Quatre temps du "care"
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr Leroy
  • Date d'observation: octobre 2011
  • Numéro de page du livre : 164
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Mr Leroy, 72 ans au début de l'enquête en 2011, vit dans une petite maison qu'il loue dans le centre d'un village en périphérie de Charleroi. Il y est installé dans un grand dénuement : dans la pièce principale qui tient lieu de séjour, de chambre et de salle à manger, le sol en linoléum est plus qu'usé, découvrant par endroits le plancher ; la salle de bains est installée dans un recoin de la cuisine, elle-même construite dans une annexe très mal isolée (la porte vers la cour ne ferme pas, l'aide familiale a bouché un trou gros comme le poing avec de vieux journaux). Il se situe dans une frange précarisée du monde ouvrier : d'abord manœuvre dans une usine, il est devenu l'homme à tout faire de l'orphelinat local suite à un accident du travail. À la mort de son épouse il y a huit ans, les choses commencent à se dégrader et Mr Leroy est diagnostiqué malade d'Alzheimer. En l'absence de proche fiable (« un fils qui n'est pas vraiment son fils » ferait de rares apparitions dans le seul but de soutirer de l'argent à Mr Leroy qui en a peur), le médecin traitant demande l'intervention des aides familiales d'une OSD publique. Monsieur Lecomte bénéficie quotidiennement de la visite d'une infirmière pour la toilette et la prise de médicaments (sauf les week-ends), du passage d'une aide familiale pour le « maintien » et la livraison d'un repas chaud par le CPAS. Une à deux fois par semaine, la prestation de l'aide familiale est plus longue, pour assurer l'entretien du linge et de la maison. Juridiquement, Monsieur Lecomte est placé sous administration de biens.
Vignette

 Avec Valérie, qui va devenir la gouvernante auto-investie chez Mr Leroy, on a une variante plus affective, plus aimable sans doute de ce rôle qui reste associé à une prise de pouvoir sur la personne aidée et les autres intervenantes.

Valérie va progressivement s'imposer aux yeux de tou·te·s comme la care manager de sa situation : c'est elle qui décide que le domicile, puis le domicile et le centre de jour valent mieux pour lui qu'une institutionnalisation ; elle qui organise sa vie quotidienne, décide des jours où c'est elle plutôt que ses collègues qui passera chez lui ; elle qui occupe aussi tout l'espace émotionnel. Elle tient une place de quasi-proche dont la modalité n'est pas toujours claire : c'est tantôt comme une fille (« Je n'ai pas la chance d'avoir mon Papa près de moi, alors je m'attahce à eux, j'en suis bien consciente, je recherche ça aussi »), tantôt comme une compagne (monsieur l'appelle « mon cœur de beurre », ils se promènent bras dessus bras dessous au marché), tantôt comme une mère (« Jocelyn, prends ton manteau, range tes affaires ») que la relation est investie de part et d'autre.

Les autres collègues sont régulièrement dénigrées comme ne faisant pas bien leur travail, elle-même s'épuise dans ce type d'investissement professionnel. Valérie est écartée du travail pour burn out pendant plusieurs semaines. Mr Leroy n'est pas le seul bénéficiaire chez lequel elle s'investit de la sorte et il semble que dans sa vie privée aussi elle soit très sollicitée en tant que care giver : avec une belle-sœur, elle partage la garde des 5 orphelins de sa sœur, dont trois sont en bas âge, l'une la semaine, l'autre les WE.

Le jugement de Valérie par rapport à l'attitude de sa responsable d'équipe est ambigu : elle semble lui reprocher son manque de réaction quant au confort de travail des aides familiales… alors que c'est précisément ce non-interventionnisme qui lui permet de fonctionner chez Monsieur Lecomte d'une manière qui déroge en de nombreux points aux principes de professionnalité, entre autre en empiétant sur les prérogatives d'une cheffe d'équipe.    

Mr Leroy trouve dans cette relation un indéniable appui, à la fois en termes d'organisation des soins et en termes affectif. Valérie va par exemple, en dehors de ses heures, l'inviter tous les vendredis midi manger des frites au Snack. Mais c'est aussi en dehors d'une enquête dont il serait partie prenante que le soin est défini.