2. En quête de respect : ex-directeur général vs aide familiale   (Chapitre 7)  Imprimer
Résumé
A partir de quelques moments de tension, on observe que si Mr Plissart ne se sent pas respecté par son aide familiale, celle-ci non plus, qui se sent traitée en domestique, sur fond de confusion entre son métier et celui d'aide-ménagère.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale
  • Type d'acte : Présence
  • Thème(s) : Abus de pouvoir, Confusion des métiers
  • Concept(s) : Expérience, Gouvernante
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr Plissart
  • Date d'observation: 19/06/2014 ; 02/06.2015
  • Numéro de page du livre : 156
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mr Plissart a 83 ans lorsque je le rencontre. Issu d'une famille ouvrière, il a fait une très belle carrière dans la fonction publique dont il parle régulièrement avec fierté. Aucun diagnostic n'a été posé mais selon les intervenantes, on me dira qu'il souffre de « confusion » (l'assistante sociale), de « sénilité » (c'est la version de sa fille) voire, de « maladie d'Alzheimer » (c'est ce qu'en pensent les aides familiales). Au cours des quatre années que durera mon observation, je verrai sa parole se dégrader (à la fin, il ne subsistera que quelques mots dans un flot indifférencié), ainsi que son orientation dans l'espace se fragiliser (il se perd – avec moi – dans son quartier en promenant son chien). Sa fille unique, Anne-Françoise, prend soin de lui à distance (elle habite à plus d'une heure de route et passe deux fois par mois chez lui), en décidant progressivement ce que sont « les besoins » de son père, en particulier pour ce qui nous intéressera, le passage d'aide-familiales deux fois par pour, malgré l'avis défavorable de la responsable du service et les efforts répétés de son père pour y mettre fin. Fin 2015, Mr Plissart est institutionnalisé par sa fille suite à une chute. Il décèdera une semaine plus tard.
Contexte Méthodologique
Après un entretien avec sa fille (au domicile de celle-ci), je rencontrerai Mr Plissart à dix reprises entre 2011 et 2015 à l'occasion de la venue d'aides familiales. Lors de mes passages, je l'écouterai me raconter sa vie, je l'accompagnerai en promenade avec son chien et j'irai parfois faire quelques courses avec les aides familiales. J'ai participé à quatre réunions de l'équipe d'aides familiales intervenant chez lui et mené un entretien avec chacune des deux cheffes d'équipe qui s'y sont succédées.
Vignette

Alors que Clara l'envoie promener son chien contre son gré, Mr Plissart maugrée à mi-voix, pendant qu'il s'habille (19.6.14) : « Je ne vais quand même pas me laisser mettre à la porte de chez moi. Je peux recevoir un minimum de respect ! Moi qui ai été directeur général ! ». Durant toute la promenade que nous faisons ensemble, Mr Plissart va poursuivre ses récriminations, plus ou moins compréhensibles selon les moments. (…) À un moment, s'arrêtant net : « J'ai beau avoir été directeur général, quand on est vieux, on n'est plus rien ! » (Balançant les bras, en signe d'impuissance).

Clara aussi défend son statut social. Ceci apparaît entre autres à la fin du petit déjeuner de Mr Plissart qui fait suite au moment de douche houleux (cf 7.1.). Au moment où Clara décide que Mr Plissart doit ranger la table du petit déjeuner et qu'elle l'interpelle en ce sens, il répond, courroucé : « Mais je suis chez moi ! » (sous-entendu : c'est moi qui décide si et quand je range). Clara : « Mais précisément, vous êtes chez vous ! Ce n'est pas à moi de le faire, je ne suis pas votre domestique ! » Dès qu'on aura franchi le seuil de la maison pour une promenade avec le chien, Mr Plissart me dira (comme pour commenter l'échange qui précède ?) : « C'est ma femme d'ouvrage, tout de même ! C'est moi qui… » (il ne trouve pas les mots pour finir cette phrase, mais j'imagine que le sens en aurait été « c'est moi qui peux lui dire de ranger ma cuisine. »

Comme beaucoup de bénéficiaires, Mr Plissart confond le métier d'aide familiale avec celui d'aide-ménagère. Il n'y a donc vraisemblablement pas dans son esprit la volonté de rabaisser Clara lorsqu'il me dit qu'elle est sa « femme d'ouvrage », ce qui est à ses yeux un état de fait, dont Clara - ainsi que nombre d'aides familiales rencontrées - va se défendre à toutes forces.