1. Une douche qui tourne à l’affrontement   (Chapitre 7)  Imprimer
Résumé
Le récit d'une douche donnée par Clara, l'aide familiale considérée par la fille de Mr Plissart comme une « gouvernante » (terme repris et développé aux pp.164-168). Située dans le contexte de l'ensemble des soins reçus, cette douche sera analysée en terme d'expérience pour Mr Plissart au chapitre 7.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale
  • Type d'acte : Toilette
  • Thème(s) : Abus de pouvoir
  • Concept(s) : Expérience, Gouvernante, Rites d’interaction
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr Plissart
  • Date d'observation: 02/06/2015
  • Numéro de page du livre : 156
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mr Plissart a 83 ans lorsque je le rencontre. Issu d'une famille ouvrière, il a fait une très belle carrière dans la fonction publique dont il parle régulièrement avec fierté. Aucun diagnostic n'a été posé mais selon les intervenantes, on me dira qu'il souffre de « confusion » (l'assistante sociale), de « sénilité » (c'est la version de sa fille) voire, de « maladie d'Alzheimer » (c'est ce qu'en pensent les aides familiales). Au cours des quatre années que durera mon observation, je verrai sa parole se dégrader (à la fin, il ne subsistera que quelques mots dans un flot indifférencié), ainsi que son orientation dans l'espace se fragiliser (il se perd – avec moi – dans son quartier en promenant son chien). Sa fille unique, Anne-Françoise, prend soin de lui à distance (elle habite à plus d'une heure de route et passe deux fois par mois chez lui), en décidant progressivement ce que sont « les besoins » de son père, en particulier pour ce qui nous intéressera, le passage d'aide-familiales deux fois par pour, malgré l'avis défavorable de la responsable du service et les efforts répétés de son père pour y mettre fin. Fin 2015, Mr Plissart est institutionnalisé par sa fille suite à une chute. Il décèdera une semaine plus tard.
Contexte Méthodologique
Après un entretien avec sa fille (au domicile de celle-ci), je rencontrerai Mr Plissart à dix reprises entre 2011 et 2015 à l'occasion de la venue d'aides familiales. Lors de mes passages, je l'écouterai me raconter sa vie, je l'accompagnerai en promenade avec son chien et j'irai parfois faire quelques courses avec les aides familiales. J'ai participé à quatre réunions de l'équipe d'aides familiales intervenant chez lui et mené un entretien avec chacune des deux cheffes d'équipe qui s'y sont succédées.
Vignette

Clara sonne. Monsieur vient nous ouvrir, en chemise et caleçon long. A peine le temps de dire bonjour et Clara le somme : « On va à la salle de bain prendre une douche. On se déshabille. Votre fille et le médecin viennent aujourd'hui ! »  Comme Mr Plissart obéit sans broncher, Clara me souffle en ouvrant les tentures : « Je ne comprends pas comment les collègues n'y arrivent pas ! Ce n'est pourtant pas compliqué ! ». Pendant le temps de la douche, le chien et moi restons dans le couloir. Ce que j'entends est affligeant. Sauf au moment de l'habillage où il se taira, Mr Plissart va grommeler de façon inintelligible tout le temps que dure l'opération. De cette basse (quasi) continue ressort à intervalles réguliers la voix forte et irritée de Clara : « Arrêtez de rouspéter de Mr Plissart, on entre dans le bain ! »  ou « On fait les cheveux aussi, mettez la tête sous l'eau » et plusieurs fois « Fermez votre bouche, Mr Plissart, le silence nous fera du bien ». A un moment : « Faites vos parties intimes, Mr Plissart et votre anus ! Votre anus ! Encore, il est encore plein de caca ! Frottez encore avec le gant de toilette ou je le fais moi-même ! » C'est à ce moment-là que Mr Plissart explose, avec une phrase tout à fait compréhensible celle-là : « Mais foutez-moi la paix à la fin, merde ! » Clara : « Gardez le « merde » pour vous, Mr Plissart, un peu de respect s'il vous plait ». Lui : « Mais c'est vous qui me manquez de respect ! « . Elle « Non, c'est vous ». A certains moments, elle dit aussi : « Anne-Françoise vient tout à l'heure, je lui dirai que vous ne voulez plus vous laver. Vous verrez quel effet ça aura ! » A toutes ces interpellations répondent les grommellements hostiles mais indistincts de Mr Plissart. Le chien est couché en travers du hall. De temps à autre, il me regarde. J'ai le sentiment qu'il partage mon abattement. (…) Quand Mr Plissart me rejoint dans la cuisine, je lui demande d'une voix chaude, comme pour le réconforter après cette épreuve : « Comment allez-vous, Mr Plissart ? » Lui : « Je suis bien quand je suis seul chez moi, qu'on ne m'ennuie pas. » Moi (fadasse !) : « Vous aimez la solitude ? » Lui : « Ce n'est pas ça… » Clara nous interrompt. Je devrai attendre de sortir avec lui et le chien pour l'entendre à nouveau.