3. Un soutien des professionnelles peu à peu apprécié   (Chapitre 5)  Imprimer
Résumé
On découvre la façon dont le regard de la fille de Mme Landuyt sur la présence de professionnel·le·s va se transformer, d'un sentiment d'envahissement de son domicile à une appréciation de leur présence.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Soutien aux proches
  • Thème(s) :
  • Concept(s) :
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Landuyt
  • Date d'observation: de septembre 2011 à avril 2015
  • Numéro de page du livre : 126
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Landuyt habite une coquette maison bel-étage, avec un petit jardin, dans un quartier tranquille et arboré du Sud-Est de Bruxelles . Elle a 88 ans quand je la rencontre. Elle a occupé des emplois de secrétaire, puis a aidé son mari qui était un entrepreneur indépendant et a eu trois enfants : Lauranne, l'aînée, et deux fils. A la mort de son mari, elle a développé une intense activité bénévole jusqu'à ses 80 ans. Sa fille est secrétaire médicale et prendra sa pension un an après le début de l'enquête. Un an avant notre rencontre, Mme Landuyt a fait un accident vasculaire cérébral (AVC) la laissant avec une hémiplégie du côté gauche à la suite duquel elle est hospitalisée pendant trois mois sans que la revalidation ne lui ait permis de regagner en mobilité (elle ne peut quitter le fauteuil). Elle insiste alors pour rentrer chez elle, contre l'avis de l'équipe médicale mais soutenue par sa fille. Au moment où je la rencontre, des infirmières passent deux fois par jour, pour la lever (vers 10h) et la mettre au lit (à partir de 16h30), avec une toilette et un changement de protection. Elle passe la journée dans un fauteuil roulant placé à côté du lit médicalisé qui a été installé contre la fenêtre du salon donnant sur la rue. De 9h à 12h, une aide-ménagère titre-service (voir Annexe) entretient la maison tout en se révélant être une présence importante pour Mme Landuyt dont la fille travaille encore à plein temps (jusqu'en septembre 2012). Pendant les quelques mois où Mme Landuyt connaît une période de black out (selon les termes des protagonistes) dont il va être question dans la vignette qui suit, son état se dégrade rapidement : sans énergie, elle reste allongée toute la journée, dormant énormément (de décembre 2012 à février 2013).
Contexte Méthodologique
J'ai été présente chez Mme Landuyt lors de dix séances de kiné (d'une durée de trente minutes environ, se prolongeant par un temps de conversation avec elle, et sa fille lorsque celle-ci a pris sa retraite) entre le 6 septembre 2011 et le 16 avril 2015 et mené trois entretiens en septembre 2011 (avec Mme Landuyt, sa fille et le kiné). J'ai participé à une réunion de l'équipe infirmière intervenant chez elle et donné de multiples coups de fil à Lauranne et Luc (pour arranger des moments de rendez-vous, prendre des nouvelles ou poser des questions à propos de la séance passée). Le dernier appel a été celui de Lauranne pour m'annoncer le décès de sa maman, en juin 2015. Je l'ai recontactée en janvier 2017 pour lui proposer une première analyse de mes observations, suite à quoi nous nous sommes rencontrées une après-midi pour qu'elle me fasse part de son feed-back. J'ai également transmis à Luc la partie du texte concernant les soins de kiné.
Vignette
Lorsque je la rencontre la première fois, Lauranne me dit spontanément que ce qui est très lourd dans sa situation est d'avoir son chez soi envahi de professionel·le·s, et ce d'autant plus qu'avec l'important roulement des infirmier·ère·s (20 personnes différentes par mois me dira-t-elle), il s'agit souvent d'inconnu·e·s. Or, son regard sur les professionnel·le·s va progressivement changer. Je le constate d'abord à propos de Justine, l'aide-ménagère, qui prend à partir du black-out une importance que Lauranne ne semblait pas lui reconnaître jusque-là. Lorsque Lauranne m'en parle dans un moment où elle revient sur la période de black-out, le ton a changé (10.12.13) : « Lauranne (à sa mère) : « Justine et moi, on voyait bien que tu n'étais pas au bout de ta vie. (…) Moi : « Justine ? » Lauranne : « L'aide-ménagère. Elle est congolaise. Il y a une superstition du Congo qui dit que l'oignon est un antibiotique. Elle en a donné énormément à maman. » Madame Landuyt : « Oui, encore maintenant, elle me fait une soupe rien qu'avec des oignons, tous les jours ! » Moi : « Vous aimez ? » Madame Landuyt « On s'habitue. » Lauranne : « Moi aussi, je me suis mise à manger des oignons. C'est sans doute une superstition, mais c'est peut-être ça qui a marché. » Si dans ce passage, je demande à Lauranne qui est Justine, c'est que c'est la première fois qu'elle l'appelle par son prénom, alors qu'elle et sa mère m'en parlaient souvent, mais toujours comme de « l'aide-ménagère ». Après le black-out, il ne s'agit plus de « l'aide-ménagère » mais de « Justine », un appui pour Lauranne lorsqu'il s'agit de prendre une décision très difficile et pour ce faire, de lire les signes de vie chez Mme Landuyt, puis de les cultiver. La même évolution peut être constatée concernant les infirmier·ère·s : alors que pendant les trois premières années de ma présence, j'entendrai régulièrement des récriminations de Lauranne à leur égard (sur les roulements excessifs, mais aussi des conflits menant à l'éviction de certain·e·s d'entre eux·lles), durant la dernière année, elle vit leur présence comme un soutien, non seulement technique mais personnel, allant jusqu'à se réjouir de toutes les personnes différentes que le soin de sa mère lui a permis de rencontrer. Un trajet a été accompli qui permet de vivre autrement cette présence de professionnel·le·s, de s'en accommoder, plus même, de l'apprécier, que l'on a déjà observé chez Messieurs Levesque et Cardinael (@2.3).