4. Un avantage testamentaire obtenu selon des modalités contestables   (Chapitre 5)  Imprimer
Résumé
Alors que Mme Landuyt est très affaiblie, sa fille lui fait signer devant notaire un testament qui l'avantage par rapport à ses frères. Suite aux récriminations légitimes de ceux-ci, un nouveau testament sera signé toujours à l'avantage de Lauranne mais de façon plus limitée. Indépendamment du caractère contestable de la façon dont les choses sont passées, la légitimité de la revendication de Lauranne est discutée aux p.127-128 dans le cadre de la loi belge qui organise la succession.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) : Abus de pouvoir, Intérêt financier
  • Concept(s) :
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Landuyt
  • Date d'observation: Décembre 2013
  • Numéro de page du livre : 127
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Landuyt habite une coquette maison bel-étage, avec un petit jardin, dans un quartier tranquille et arboré du Sud-Est de Bruxelles . Elle a 88 ans quand je la rencontre. Elle a occupé des emplois de secrétaire, puis a aidé son mari qui était un entrepreneur indépendant et a eu trois enfants : Lauranne, l'aînée, et deux fils. A la mort de son mari, elle a développé une intense activité bénévole jusqu'à ses 80 ans. Sa fille est secrétaire médicale et prendra sa pension un an après le début de l'enquête. Un an avant notre rencontre, Mme Landuyt a fait un accident vasculaire cérébral (AVC) la laissant avec une hémiplégie du côté gauche à la suite duquel elle est hospitalisée pendant trois mois sans que la revalidation ne lui ait permis de regagner en mobilité (elle ne peut quitter le fauteuil). Elle insiste alors pour rentrer chez elle, contre l'avis de l'équipe médicale mais soutenue par sa fille. Au moment où je la rencontre, des infirmières passent deux fois par jour, pour la lever (vers 10h) et la mettre au lit (à partir de 16h30), avec une toilette et un changement de protection. Elle passe la journée dans un fauteuil roulant placé à côté du lit médicalisé qui a été installé contre la fenêtre du salon donnant sur la rue. De 9h à 12h, une aide-ménagère titre-service (voir Annexe) entretient la maison tout en se révélant être une présence importante pour Mme Landuyt dont la fille travaille encore à plein temps (jusqu'en septembre 2012). Pendant les quelques mois où Mme Landuyt connaît une période de black out (selon les termes des protagonistes) dont il va être question dans la vignette qui suit, son état se dégrade rapidement : sans énergie, elle reste allongée toute la journée, dormant énormément (de décembre 2012 à février 2013).
Contexte Méthodologique
J'ai été présente chez Mme Landuyt lors de dix séances de kiné (d'une durée de trente minutes environ, se prolongeant par un temps de conversation avec elle, et sa fille lorsque celle-ci a pris sa retraite) entre le 6 septembre 2011 et le 16 avril 2015 et mené trois entretiens en septembre 2011 (avec Mme Landuyt, sa fille et le kiné). J'ai participé à une réunion de l'équipe infirmière intervenant chez elle et donné de multiples coups de fil à Lauranne et Luc (pour arranger des moments de rendez-vous, prendre des nouvelles ou poser des questions à propos de la séance passée). Le dernier appel a été celui de Lauranne pour m'annoncer le décès de sa maman, en juin 2015. Je l'ai recontactée en janvier 2017 pour lui proposer une première analyse de mes observations, suite à quoi nous nous sommes rencontrées une après-midi pour qu'elle me fasse part de son feed-back. J'ai également transmis à Luc la partie du texte concernant les soins de kiné.
Vignette
J'apprends comment les choses se sont passées à l'initiative de Mme Landuyt lors de ma visite de décembre 2013, durant laquelle mère et fille reviennent sur l'épisode du black-out. A plusieurs reprises pendant la conversation revient l'histoire d'une signature devant notaire. Mme Landuyt : « Tu m'as dit sans doute « signe » et j'ai signé. Mais je ne m'en souviens absolument pas. » Lauranne : « Mais maman, pas du tout ! Tu étais tout à fait apte à comprendre. Le notaire en a attesté. Il est venu avec deux témoins et j'ai dû sortir de la pièce. » Mme Landuyt : « Je ne me souviens de rien ». La fille : « Non, mais ça ne change rien au fait que tu comprenais ce que tu faisais à ce moment-là. Les Alzheimer non plus ne se souviennent de rien. Ça ne les empêche pas de faire un testament valable. » [sic]. Je ne comprendrai le contenu de cette histoire de signature que quand Lauranne me raccompagne, à la fin de ma visite : « Vous savez que je dois quitter la maison si maman s'en va ? Comme j'ai contracté [une maladie chronique] vers 40 ans, je n'ai plus pu faire un prêt pour acheter un appartement. C'est pour ça que maman a fait un testament à mon avantage. Mes frères sont furieux alors qu'ils ne sont pas dans le besoin ! Je suis victime de beaucoup de pressions ! » Lauranne m'explique tout cela à son initiative sur le pas de la porte, les larmes aux yeux. » Je sors ce jour-là de chez les Landuyt très perturbée de ce que je viens d'apprendre et qui me semble alors un abus de pouvoir caractérisé de Lauranne, à la fois à l'égard de sa mère mais aussi de ses frères, avec lesquels aucun accord n'a été pris. Bien sûr, au moment de la fameuse signature, Mme Landuyt n'est pas sous statut de protection (au sens de la loi belge du 11 janvier 2011 portant sur le statut des personnes majeures incapables) et est donc, comme tout·e adulte, réputée capable de modifier son testament. Néanmoins, on sent bien le problème éthique qu'il y a dans le chef de Lauranne à faire signer par sa mère un testament à son avantage au moment où celle-ci est très affaiblie et ce sans l'accord de ses frères. Lors de notre dernière rencontre, Lauranne reviendra longuement sur cette affaire, dont le récit que je viens de faire ne lui convient pas, on peut l'imaginer. Elle apportera des éléments qui complexifient l'histoire, où il est question d'une volonté exprimée de ses parents de la privilégier dans l'héritage vu sa situation financière plus précaire que celles de ses frères « qui ont fait de bons mariages », de retour sur la parole donnée d'un des frères, de l'intervention d'une belle-sœur cupide, … L'issue de cet imbroglio sera un deuxième testament de Mme Landuyt, avantageant sa fille mais « de moitié moins » que dans celui dont il vient d'être question.