A qui la chercheuse demande-t-elle l’accord pour son passage ?   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
On perçoit comment les rapports de pouvoir qui structurent le champ de l'aide conditionne le choix des personnes auxquelles la chercheuse demande leur accord avant son passage au domicile d'une personne dépendante.
Description
  • Types d'acteurs : Chercheur·se
  • Type d'acte : Immersion
  • Thème(s) : Enjeux éthiques-épistémologiques de la recherche, Rapports de classe
  • Concept(s) : Système d'agentivité
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme de Longueville
  • Date d'observation: undefined
  • Numéro de page du livre : undefined
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Je rencontre Mme de Longueville par l'entremise du service infirmier qui intervient chez elle deux fois par semaine pour l'aider à sa toilette et veiller à la bonne prise des médicaments. Elle est née en 1934 et est veuve depuis 5 ans au moment où je la rencontre, en janvier 2012. Quelques mois plus tard, elle entrera en institution. Elle a trois fils, dont un vit aux Etats-Unis. Des deux fils vivant en Belgique, un est divorcé et c'est (dès lors ?) la femme du troisième qui va être la personne de contact pour les services intervenant chez Mme de Longueville. Ce sera la seule personne de la famille que je rencontrerai, les deux fils n'étant pas opposés au principe d'une rencontre mais n'ayant pas donné suite à mes demandes de rendez-vous. C'est après le décès de son mari (ingénieur) que les ennuis de Mme de Longueville vont commencer, ayant été jusque-là une femme « très dynamique, avec plein d'amies, participant à des tables de conversation en anglais, (…) une femme très intelligente » (selon sa belle-fille). Ses fils vont lui acheter un appartement, la maison conjugale s'avérant trop grande pour une femme seule. Vont alors survenir à la fois des problèmes physiques – deux prothèses de genoux, qui demandent une hospitalisation, puis une revalidation – et psychiques – une grave dépression, accompagnée d'une automédication erratique, conduisant à une intoxication médicamenteuse. C'est lors d'une des hospitalisations liées à ces différents problèmes que va être diagnostiquée « une légère démence frontale » (toujours selon la belle-fille). C'est peu à peu, sur recommandation des hôpitaux et sous la supervision de la belle-fille que va s'installer le caring arrangement suivant : les deux fils vivant en Belgique passent chacun un soir par semaine et mangent à cette occasion avec leur mère, un des deux en profitant pour s'occuper des factures à payer ; une infirmière passe deux fois par semaine ; une aide-ménagère 4h une fois par quinzaine ; et une aide-familiale deux fois par semaine (idéalement pour aider Mme pour sa toilette, mais comme celle-ci le refuse, en général pour faire avec elle des courses, à sa demande). Les repas de midi sont apportés par le CPAS. L'ensemble de ces interventions assure un passage quotidien de professionnelles pendant la semaine, sans compter le dépôt du repas chaud. Au moment où je découvre la situation, les amies ont disparu, à part un contact mensuel avec une amie anversoise. Comme le nom d'emprunt de Mme de Longueville le suggère, son patronyme renvoie à une origine noble. La responsable de l'équipe des aide-familiales me parlera d'un milieu « huppé ». Il est sûr qu'à tout le moins, Mme de Longueville dispose des ressources économiques et culturelles des catégories sociales supérieures. Mme de Longueville est considérée comme « difficile » par les différents intervenants rencontrés, on découvrira pourquoi. Sa situation pose entre autres la question de la possibilité de rester au domicile pour les personnes considérées comme « démentes » sans cohabitant.
Contexte Méthodologique
J'ai rencontré d'abord la belle-fille de Mme de Longueville, puis à deux reprises celle-ci chez elle lors d'un passage de deux aide-familiales différentes ; j'ai mené un entretien avec l'infirmière de référence et un autre la responsable de l'équipe des aide-familiales (entre janvier 2012 et janvier 2013).
Vignette

Chez Mme de Longueville, j'ai introduit ma demande d'être présente au moment où des soins sont donnés à l'OSD – en suivant la ligne hiérarchique, du haut vers le bas (le directeur, puis les responsables du secteur AVJ/infirmier ; après leur consultation des cheffes d'équipe, des noms de personne (dépendantes et proches responsables pour l'OSD) m'ont été proposés. Pour Mme de Longueville, j'ai donc reçu son adresse et le téléphone de sa belle-fille. C'est lors de l'entretien que j'ai eu avec elle que j'ai demandé à pouvoir être présente avec les aide-familiales (pas avec l'infirmière, vu les difficultés que je sentais autour de la toilette ; ni avec l'aide-ménagère, dans la mesure où elle n'apparaissait pas comme ayant un contact particulier avec Mme[1]). Autrement dit, ce n'est qu'en arrivant chez Mme de Longueville que je lui ai demandé si je pouvais rester chez elle le temps du passage de l'aide-familiale. Elle n'y a vu aucun problème mais reste le fait que ce faisant, j'ai adopté la façon de l'OSD de considérer le proche comme responsable de l'aide donnée (et ce faisant, de l'accès à son domicile) plus que la personne bénéficiaire elle-même. Il est sûr que l'OSD, ou ici, la belle-fille, auraient pu ne pas apprécier que je demande directement son accord à Mme de Longueville sans être passée d'abord par sa belle-fille (ce qui pourtant aurait été le plus respectueux du droit de la personne, réputée capable sauf preuve du contraire, à décider pour elle-même). L'OSD ne m'a d'ailleurs jamais transmis les coordonnées téléphoniques de la personne bénéficiaire (bien son adresse postale) mais seulement celles du proche. J'aurais pu néanmoins demander au proche le téléphone de la personne bénéficiaire pour lui demander son accord au téléphone, de façon à lui permettre de refuser plus facilement que dans le face à face devant sa porte, alors que la professionnelle est déjà là ou va arriver. Il faut reconnaître que lorsque je l'ai fait (uniquement pour des personnes qui n'avaient pas de proche ou dont le proche cohabitant était absent au moment de mon appel), je n'ai pas eu le sentiment de respecter davantage leur droit à choisir de (ne pas) me recevoir dans la mesure où d'une part, après m'avoir donné leur accord au téléphone, ils ne se souvenaient pas l'avoir fait lorsque j'arrivais au moment convenu (donc je redemandais leur accord, après explications, ce que j'ai fait d'ailleurs lors de chacun de mes passages) et que durant le coup de fil initial, je n'avais pas d'échanges (avec des questions de leur part, par exemple) me permettant de penser qu'ils voyaient clairement ce qui leur était demandé. Du point de vue des principes néanmoins, il aurait mieux valu demander systématiquement les coordonnées de la personne elle-même pour lui demander son accord avant le jour de mon passage. Cette remarque ne vaut que pour les personnes bénéficiaires d'une aide sans proche cohabitant. Pour les situations, les plus fréquentes, avec proche cohabitant, c'est lui ou elle qui a répondu au téléphone sauf chez Mme Landuyt (dans la mesure où la fille de celle-ci travaillait encore au début de nos rencontres) et que c'est dès lors le proche qui choisissait de demander – ou pas – l'accord de la personne bénéficiaire de l'aide.



[1] Ceci témoigne de ma propre façon de (dé)considérer le rôle des aide-ménagères dans le soin ; il a fallu que je découvre dans certaines situations le rôle important de l'aide-ménagère – chez Pieters (chapitre 7) ou chez Levesque (chapitre 1) – pour avoir pris des contacts spécifiques avec elles (jamais néanmoins lors de leur passage).