Fin de l’accompagnement : la force d’un aurevoir   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Du fait de l' institutionnalisation précipitée de Mr Vandaele (cf Le passage du domicile à l'institution), les gardes à domicile qui y venaient deux fois par semaine n'ont pas eu l'occasion de lui dire au revoir. A leur initiative et grâce à des circonstances favorables, une rencontre est organisée à l'improviste qui touche profondément les différentes participantes. Ce récit peut être rapproché du 1.8. (L'expérience des gardes des derniers moments et de l'après décès) concernant les modalités de clôture d'une intervention professionnelle.
Description
  • Types d'acteurs : Chef.fe d'équipe, Garde à domicile, Proche
  • Type d'acte : Présence
  • Thème(s) : Fin de la demande d'aide
  • Concept(s) : Agentivité, Expérience
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr et Mme Vandaele
  • Date d'observation: 2012
  • Numéro de page du livre : undefined
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Van Daele a 67 ans, son mari 65. Quand je les rencontre (en 2011), Mr Vandaele a été diagnostiqué comme ayant une démence fronto-temporale il y a un an, diagnostic qui s'ajoute à des troubles psychiatriques (dépression, paranoïa, anxiété) l'ayant écarté de son emploi pour invalidité depuis qu'il a 43 ans. Le changement le plus manifeste – et le plus problématique – associé à ce nouveau diagnostic est l'agressivité de Mr Vandaele qui explose régulièrement dans les lieux publics à l'égard des passants, de façon telle que son épouse, après de multiples épisodes, et sur le conseil de la police qui est intervenue à plusieurs reprises, n'ose plus le laisser sortir seul ni le laisser seul à leur domicile. Or depuis la pension – elle était infirmière – elle a développé de multiples activités, de loisir et d'engagements en dehors de chez elle. Elle cherche depuis plusieurs mois, en vain vu le double diagnostic de son époux, un centre de jours puis une MR(S) ou une MSP qui puisse l'accueillir. Elle a trouvé un service de gardes à domicile qui viennent une fois, puis deux fois par semaine pendant 4 heures. C'est finalement à Bruxelles que Mme Vandaele trouvera une MR(S) où Mr entrera en février 2012.
Contexte Méthodologique
C'est par le service de gardes que j'ai pu entrer en contact avec Mr et Mme Vandaele. J'ai rencontré deux fois Mme Vandaele à son domicile, une fois avant, une fois après l'institutionnalisation de son mari. J'ai accompagné une garde durant une matinée que nous avons passée avec Mr Vandaele. J'ai assisté à une réunion de l'équipe des gardes qui interviennent chez eux et eu plusieurs contacts téléphoniques avec l'assistante sociale chef de l'équipe. En 2016, j'ai rencontré fortuitement Mme Vandaele dans une réunion ce qui m'a permis d'avoir de leurs nouvelles. Je lui ai restitué une première analyse suite à quoi elle m'a répondu, très touchée par mon récit de leur expérience.
Vignette

Lorsque je la rencontre à l'occasion d'une réunion deux mois après l'institutionnalisation de Mr, la responsable de l'équipe de gardes me raconte :

J'ai appelé Mme alors qu'on était en réunion d'équipe pour avoir des nouvelles. Mme m'a dit que ça leur ferait plaisir de venir nous dire au revoir. Ils sont venus à deux. C'était super émouvant. Tout le monde pleurait.

Mme Vandaele me raconte spontanément le même épisode, lors du second entretien :

Il faut que je vous raconte ! Alors que mon mari était tout à fait exceptionnellement venu passer une nuit à la maison parce qu'il avait deux rendez-vous médicaux qui se suivaient, l'assistante sociale m'a téléphoné pour demander des nouvelles. J'avais prévenu le secrétariat que mon mari était placé mais je ne l'avais pas eue elle personnellement. Comme les gardes avaient envie de le revoir et que lui était d'accord, on y est allé. Ça a été incroyable, j'en ai les larmes aux yeux (des larmes coulent). J'ai eu l'occasion de dire à chacune ce qu'elles avaient apporté, avec leur personnalité particulière, comme attention à mon mari. Pour moi qui n'avait absolument pas préparé cela, qui ne comptait pas faire de démarche particulière, j'ai eu ainsi la possibilité de les remercier, chacune, pour ce qu'elles avaient faits. Ça a été un moment formidable. Elles aussi ont été très heureuses…et très émues. Elles ont dit aussi ce qu'elles appréciaient avec lui, les bons moments qu'elles avaient eus. C'est incroyable comme cela s'est mis, la seule fois où il rentrait à la maison !

Cet épisode permet d'abord de réaliser que les gardes n'ont pas eu l'occasion de dire au revoir à Mr et Mme Vandaele, suite à l'entrée en MR précipitée de celui-ci et n'ont plus eu aucunes nouvelles. Alors que cette situation a demandé d'elles de dépasser leurs craintes face aux incidents réguliers lors de leur passage (du fait de ses troubles, Mr Vandaele s'en prenait régulièrement aux passants en provoquant des bagarres avec certains d'entre eux), rien n'a été fait pour boucler véritablement ce moment de leur engagement professionnel (que ce soit par des adieux, des remerciements ou simplement des nouvelles). C'est à leur demande que la cheffe d'équipe va reprendre contact avec Mme Vandaele. Dans le récit de la cheffe d'équipe, c'est Mr et Mme Vandale qui veulent les revoir, dans celui de celle-ci, ce sont les gardes qui le souhaitent : peu importe, la rencontre a lieu. Tant Mme Vandaele que les gardes en sont profondément heureuses et touchées : Mme pour avoir pu remercier chaque garde pour son apport singulier, celles-ci pour recevoir cette reconnaissance et exprimer la leur à l'égard de Mr Vandaele. On peut imaginer que pour lui aussi, ce moment a dû être précieux. Ce qui contribue sans doute à le rendre si magique pour les gardes, c'est de découvrir l'attention individuelle que Mme Vandale leur a portée, dans leur souci pour son mari et d'en témoigner. On réalise par contraste ce qu'il y a de dur pour les professionnel·le·s du soin de voir leurs prestations chez une personne s'achever sans au revoir ni merci, comme si celles-ci n'avaient pas exigé d'elles un engagement personnel et un attachement aux personnes méritant reconnaissance. Et on se plaît à rêver de la mise en place de rites d'au revoir, chaque fois que cela est possible, entre la personne dont il a été pris soin et les professionnel·le·s.