Un fils en aidant principal   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
On va découvrir le rôle joué par Paul, le fils de Mme Bihoul, par les professionnel·le·s et par les autres membres de la famille et la façon dont il a été désigné aidant principal. Cette situation fait écho à celle d'un autre fils aidant principal découvert au chapitre 7, celui de Mme Pieters, tant pour l'importance de l'investissement dans l'aide que pour les ressources mobilisées, à la fois spirituelles et culturelles.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Aide à la vie journalière
  • Thème(s) : Aidant improbable, Désignation comme aidant principal, Rythme de vie des proches
  • Concept(s) : Care manager, Division genrée du travail de care, Réciprocité
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Bihoul
  • Date d'observation: janvier 12
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Mme Bihoul a 93 ans au moment de la première rencontre (en janvier 2012) et est veuve depuis 30 ans. Elle habite une vieille maison de plusieurs étages dans un village du Namurois. Un de ses petits-fils vit au premier, elle-même ne pouvant plus accéder aux étages vu ses problèmes de mobilité. Elle a eu six enfants dont deux sont décédés (l'un en bas âge, l'autre dans un accident de voiture). Restent deux filles (l'aînée a septante ans et des problèmes de santé importants, la seconde vit en France) et deux fils : l'un est peu investi auprès de sa mère, le dernier, Paul, le plus jeune (56 ans) est l'aidant principal. Il est le patron d'une petite entreprise dans le secteur de la construction et est par ailleurs engagé dans la politique communale et la vie paroissiale (il a été ordonné diacre en 2009). L'intervention de professionnel·le·s a été mise en place progressivement, augmentant avec les besoins de Mme Bihoul, particulièrement depuis qu'un diagnostic de « démence » a été posé en août 2011 : des infirmières et des aides familiales viennent deux fois par jour, un service de la commune amène les repas quotidiennement, un kiné passe deux fois par semaine.
Contexte Méthodologique
J'ai été mise en contact avec Mme Bihoul par le service d'aide familiale qui y intervient. Entre janvier et mai 2012, j'ai mené un entretien avec Paul, un avec la cheffe d'équipe des aides familiales et j'ai passé 4h avec une aide familiale.
Vignette

Lorsque je le rencontre pour la première fois chez sa maman, Paul prend l'initiative de la discussion: « Le mieux c'est que je vous raconte une journée de maman. Elle vit ici et mon fils vit au-dessus. Le matin, je viens vers 7 heures, pour ouvrir la porte à l'infirmier ou l'infirmière (ils se relaient à 2), je fais le pilulier.  Je n'habite pas loin, à 500 mètres. L'infirmier s'occupe de maman puis  vers 7h45, je reviens pour le petit déjeuner.  Je lui prépare sa tartine de confiture ou de fromage, selon ce qu'elle aime.  Je prépare aussi une petite collation pour la matinée, une galette, un fruit.  Je regarde si elle est bien installée au fauteuil, si tout est là, son verre d'eau, la télécommande de la TV. A 12h, le CPAS apporte le repas (sauf le samedi et le dimanche). On a trouvé cette formule-là, maman aime bien, elle mange bien. L'aide familiale arrive et reste entre 12 et 13h. Dans l'après-midi, souvent ma sœur aînée essaie de passer, ou alors ma femme, si elle ne garde pas la petite. Trois fois par semaine, le kiné passe aussi.  Le soir, je reviens vers 20h30, juste 10 minutes, voir si tout va bien, donner les médicaments du soir, vérifier qu'elle est bien installée pour la nuit, qu'elle a son verre d'eau, son mouchoir.  Et puis vers 22h, 22h30, mon fils descend voir une dernière fois avant la nuit (ça va vite, il habite juste au-dessus).  Le weekend, c'est pareil, sauf que c'est nous qui nous chargeons des repas (ma nièce, ma femme ou moi). C'est moi qui prend en charge, qui organise, qui coordonne les passages des professionnels et de la famille. »

Vu le nombre des professionnel·le·s qui interviennent, on peut supposer que sa fonction de care manager n'est pas de tout repos. Comment en est-il arrivé à être l'aidant principal ?

« Les autres sont … on va dire … démobilisés.  Ma sœur aînée, elle a fort l'esprit de famille, comme moi.  Mais avec ses propres problèmes de santé, elle n'est plus à ça, son esprit n'est plus capable.  Mon frère a toujours été plus détaché des aspects familiaux.  Mais jusqu'à sa pension, c'est lui qui faisait tout ce qui était papiers et « comptabilité » pour maman.  Depuis qu'il est pensionné, il a décidé d'arrêter ça aussi.  C'est mon neveu (qui a 50 ans) qui a repris.  Mon autre sœur, elle est en France.  Elle fait tout ce qu'elle peut, mais bon, elle est loin.  C'est toujours moi qui ai géré maman (le papa est décédé en 1979).  La mentalité des autres, c'est un peu : « Paul est là », il faut que je demande pour avoir un coup de main.  Parfois, c'est vrai, ça me fait râler.  Pourquoi moi ?  Sans doute parce que je suis le plus jeune, je suis le seul qui travaille encore.  Je vivais encore dans la maison quand papa est décédé, j'étais sur place, donc ça s'est mis comme ça, les autres ont pris l'habitude de se reposer sur moi.  Et puis, il faut aussi voir qu'au mois d'août, Maman a fait une crise de démence, on s'est tous réunis, et j'étais le seul qui ne voulais pas placer Maman. »

Les sœurs de Paul étant dans l'impossibilité d'aider, c'est entre son frère et lui (ou leur épouse respective) que va devoir être répartie l'aide à donner. Les circonstances vont amener Paul à prendre la responsabilité du soin , avec les passages chez sa mère que cela suppose. Le fait qu'il ait déjà pris soin de sa mère à son veuvage vu qu'il était encore présent dans la maison familiale semble à cet égard avoir joué. Il est important de constater que si sa femme contribue au maintien au domicile de sa mère, ce n'est pas elle qui est l'aidante principale (ce qui est fréquent lorsqu'aucune fille n'est disponible). Elle semble déjà engagée dans d'autres responsabilités de care auprès de ses petits-enfants. Notons enfin que comme pour Jacques chez les Pieters (un autre fils aidant principal, chapitre 7), Paul bénéficie de la reconnaissance exclusive semble-t-il de sa mère : « Maman n'a que ma femme et moi comme repères.  Les autres, elle situe que c'est de la famille, mais ce n'est pas pareil. »

Je l'interroge : « est-ce un choix ou une obligation d'aider ? » « Un peu des deux. Comme vous avez vu, la maison est grande, il y a toujours eu plusieurs ménages qui vivent ici. Moi-même, j'ai vécu 7 ans ici après mon mariage, le temps d'économiser pour acheter une maison, puis ça a été le cas d'une de mes nièces, puis de mon fils, la maison a toujours servi un peu à ça. »

Comme chez les Pieters (voir l'analyse qui en est proposée au chapitre 7), Paul a une bonne relation à sa mère et est capable de collaborer de façon harmonieuse avec les différent·e·s professionnel·le·s qui y interviennent. Comme dans cette situation également, il semble doté de ressources culturelle (celle d'un échange par le don cultivé dans sa famille) et spirituelles (son engagement chrétien) qui peuvent contribuer à donner sens à l'aide fournie.