« Traiter les professionnel·le·s avec bienséance »   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Lors d'un entretien en présence d'une aide familiale avec Mme Franqui, celle-ci répond à la question de savoir comment elle vit la présence de nombreuses professionnelles et ce qu'elle leur apporte. Un moment d'émotion partagée s'en suit.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale, Chercheur·se
  • Type d'acte : Présence
  • Thème(s) : Rapports de classe
  • Concept(s) : Expérience, Réciprocité
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Wallonie
  • Pseudo: Mme Franqui
  • Date d'observation: 8 novembre 2011
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Quand je la rencontre en novembre 2011, Madame Franqui a septante-cinq ans. Elle est licenciée en Histoire de l'art et a longuement enseigné cette matière. Elle a également travaillé dans un musée. Son époux était avocat, « c'est grâce a lui qu'elle a fait des études ». Ils sont tous deux originaires de Bruxelles. Au milieu de sa vie professionnelle, Monsieur a abandonné le barreau et repris la brasserie héritée de ses parents, puis le fils a repris l'affaire avant de la revendre. Il est au chômage depuis dix ans. A la remise de l'affaire, Mr et Mme Franqui sont venus habiter à Incourt, dans la maison héritée de « Tante Nelly », située dans un village du Brabant wallon. Monsieur est décédé en 1990, et depuis, Madame Franqui vit seule. En 2010, Mme Franqui fait une chute suite à laquelle elle est hospitalisée : des pertes de mémoire sont constatées et un diagnostic de « confusion » est posé. La coordinatrice de l'OSD m'explique : « à la sortie de l'hôpital, après concertation avec l'assistante sociale de l'hôpital, on a décidé d'envoyer une aide familiale deux fois par semaine et une infirmière tous les quinze jours, pour le pilulier. Mais les choses ont assez vite changé. Au niveau des aides, le fils avait dit qu'il passerait régulièrement, mais les aides familiales ont réalisé qu'il passait peu, et surtout le W-E, jamais en semaine. Alors, à la demande des aides familiales, on a mis en place un système pour qu'il y ait quelqu'un tous les jours : les aides familiales trois fois par semaine, plus le maintien le WE, et l'infirmière deux fois par semaine, les jours où il n'y a pas d'aide familiale. On fonctionne comme ça depuis un an, sans compter sur le fils. » Lorsque plusieurs métiers interviennent et que la situation est délicate, une « coordination » se met en place comme ici où un·e coordinateur·trice veille à la concertation entre tou·te·s, ce qui peut passer par l'organisation d'une réunion de coordination qui rassemble les différentes personnes concernées, la personne aidée et le cas échant le·a proche et un·e représent·e des différent·e·s professionnel·le·s qui interviennent.
Contexte Méthodologique
En novembre 2011, je rencontre trois fois Mme Franqui chez elle, une fois en présence de son fils et de la voisine de celui-ci, une fois avec une aide-familiale, une troisième fois dans le contexte d'une réunion de coordination qui se tient chez elle. En janvier 2012, je mène un entretien avec la coordinatrice et en avril 2012, j'apprends l'institutionnalisation de Mme Franqui, à l'initiative de son fils.
Vignette

Pendant l'échange avec Mme Franqui, je lui demande : Vous sentez-vous envahie par intervenants professionnels, vous sentez-vous « maître chez vous » ? « Je ne me sens pas du tout envahie. Oui, ils sont nombreux, et je ne me souviens pas toujours de leur nom. Je n'ai pas le sentiment qu'on ouvre mes tiroirs, qu'on va dans mes affaires. La relation est bonne, je me sens soutenue dans mes projets par ces aides familiales».

Pensez-vous leur apporter quelque chose en retour ? « Ce que je leur apporte, … c'est de les traiter …. Avec, comment dire ?, Bienséance ». L'aide familiale intervient vivement : « Oh, c'est un vrai plaisir de venir ici, Madame Franqui est très reconnaissante de ce qu'on fait. Et puis très cultivée, elle nous apporte beaucoup, car c'est quelqu'un avec qui on apprend beaucoup de choses ». Vous entendez, Madame Franqui, c'est important que vous sachiez ça aussi. Quand vos aides familales sont ici, elles sont bien, et quand elles rentrent à la maison, c'était une bonne journée pour elles, vous leur apportez ça aussi. L'aide familiale m'approuve du chef, Madame Franqui soulève un sourcil surpris et nous sommes toutes émues.

Il faut l'intervention de la chercheuse pour que soit évoqué l'apport de Mme Franqui aux professionnelles qui viennent l'aider : à la fois une reconnaissance de leur travail et un respect de ce qu'elles sont et ici, une ouverture sur le monde de la culture. La « bienséance », dans le vocabulaire choisi par Madame Franqui exprime sans doute à la fois la dimension socialement située du rapport qu'elle instaure avec les aides familiales (fait de plus distance, sociale et affective que ce que l'on a vu chez Monsieur Leroy ou Madame Rivière par exemple), tout en s'éloignant résolument du registre de la domesticité, tant redouté par les professionnels de l'aide et du soin, en particulier ceux situés bas dans la hiérarchie.