L'indépendance comme vulgate   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Une matinée en compagnie de Mr Leroy et de son aide-familiale de référence, Véro (caractérisée comme « gouvernante » @7.4). C'est à la fois le souci de celle-ci pour stimuler l'indépendance de Mr Leroy qui apparaît et la façon dont son accompagnement permet une ouverture sur la ville, sans que l'accueil des citadin.e.s ne semble à la hauteur des espérances de Mr Leroy (ce que l'on a pu observer lors des sorties « en ville » des visiteur.euse.s du centre de jour décrit au chapitre 8).
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale
  • Type d'acte : Aide à la vie journalière
  • Thème(s) : Indépendance
  • Concept(s) : Dimension politique du soin
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Wallonie
  • Pseudo: Mr Leroy
  • Date d'observation: octobre 2011/août 2013
  • Numéro de page du livre : 0
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Mr Leroy, 72 ans au début de l'enquête en 2011, vit dans une petite maison qu'il loue dans le centre d'un village en périphérie de Charleroi. Il y est installé dans un grand dénuement : dans la pièce principale qui tient lieu de séjour, de chambre et de salle à manger, le sol en linoléum est plus qu'usé, découvrant par endroits le plancher ; la salle de bains est installée dans un recoin de la cuisine, elle-même construite dans une annexe très mal isolée (la porte vers la cour ne ferme pas, l'aide familiale a bouché un trou gros comme le poing avec de vieux journaux). Il se situe dans une frange précarisée du monde ouvrier : d'abord manœuvre dans une usine, il est devenu l'homme à tout faire de l'orphelinat local suite à un accident du travail. À la mort de son épouse il y a huit ans, les choses commencent à se dégrader et Mr Leroy est diagnostiqué malade d'Alzheimer. En l'absence de proche fiable (« un fils qui n'est pas vraiment son fils » ferait de rares apparitions dans le seul but de soutirer de l'argent à Mr Leroy qui en a peur), le médecin traitant demande l'intervention des aides familiales d'une OSD publique. Monsieur Leroy bénéficie quotidiennement de la visite d'une infirmière pour la toilette et la prise de médicaments (sauf les week-ends), du passage d'une aide familiale pour le « maintien » et la livraison d'un repas chaud par le CPAS. Une à deux fois par semaine, la prestation de l'aide familiale est plus longue, pour assurer l'entretien du linge et de la maison. Juridiquement, Monsieur Leroy est placé sous administration de biens.
Contexte Méthodologique
L'enquête s'est étendue du 20 octobre 2011 au 23 août 2012 et a pu être menée suite à l'introduction donnée par l'OSD qui intervient chez Mr Leroy. J'ai rencontré celui-ci avec son aide-familiale à deux reprises et l'ai retrouvé pendant 2 journées au centre de jour qu'il a fréquenté à partir du printemps 2012.
Vignette

Lors de ma première visite, j'arrive vers huit heures avec l'aide familiale. L'infirmière est déjà occupée à la toilette de Monsieur (elle passe tous les jours, sauf le week-end : «Tant pis, il ne se lave pas le week-end, c'est pas trop grave »). L'infirmière et l'aide familiale me font comprendre que je dois attendre la fin de la toilette pour être présentée à Monsieur.(…)

Après le départ de l'infirmière vient le petit-déjeuner. Puis l'aide familiale apporte à Monsieur son miroir et son rasoir électrique ; il se rase pendant qu'elle lance une lessive. Je me propose pour débarrasser le petit-déjeuner et donner un coup de main pour la vaisselle, mais l'aide familiale me l'interdit. Elle s'excuse de sa brusquerie envers moi : « vous comprenez, c'est mieux qu'il le fasse. Il sait se débrouiller, il peut faire sa vaisselle, alors c'est important que ce soit lui qui la fasse. » Ensuite, elle nettoie la cuisine, la salle de bains et les toilettes. Pendant ce temps, elle envoie Monsieur Leroy prendre les poussières dans le salon. «Je lui demande de faire son buffet, la cheminée, car c'est vite poussiéreux. Il fait tout ce qui est à sa hauteur, mais pas se baisser et faire par terre, ça, c'est moi. J'essaie de le faire participer énormément. On va faire les courses ensemble, c'est lui qui fait la liste avant, avec ce qu'il aime. On va à la banque. Je retire les sous, puis je lui donne. On va chez le pharmacien, c'est lui qui demande ses médicaments et c'est lui qui paie ». L'aide familiale fait aussi la toilette de Monsieur, quelquefois : « Je sais que c'est complètement interdit. On en a parlé avec l'assistante sociale et l'infirmière, on a négocié, on s'arrange comme ça.

Monsieur Leroy s'est consciencieusement activé à prendre les poussières dans le salon. Je le complimente sur son travail, il arbore un sourire de grande fierté. L'aide familiale ôte son tablier, change de chaussures et nous partons faire un tour sur le marché. On n'achète rien, car le jour des courses, c'est le vendredi. Nous passons à la pharmacie. C'est Monsieur qui se débrouille tout seul. Plusieurs fois en chemin, nous croisons des personnes que Monsieur connaît. On sent chez Monsieur Leroy un grand désir de nouer la conversation, mais quelquefois, les personnes n'ont pas l'air d'avoir très envie de bavarder longuement avec quelqu'un qui s'exprime plus lentement, plus difficilement. Monsieur Leroy semble toutefois très content de montrer qu'il connaît du monde et se montre soucieux de la santé des uns et des autres.

Avant de rentrer, sur le marché, l'aide familiale achète avec son argent personnel des pâtisseries que nous mangerons ensemble, le surplus sera laissé à Monsieur. Je propose de payer ma part, elle refuse : « Non, ça me fait plaisir. Je ne le fais pas chaque fois, pas pour tout le monde et je ne m'y sens pas obligée. Je le fais parce que ça nous fait plaisir à tous les deux ».

De retour à la maison, nous buvons encore une tasse de café, avec une des pâtisseries achetées, puis l'aide familiale prépare les tartines du soir et du lendemain matin, qui seront placées dans des boîtes que Monsieur identifie bien. L'aide familiale amène Monsieur devant le frigo pour choisir ce qu'il souhaite mettre sur son pain. Il y a plusieurs sortes de fromages et de charcuterie, pas de fruits ni de légumes. Ce choix (comme pour les pâtisseries) semble mettre Monsieur Leroy au supplice. Il nous implore du regard de choisir pour lui, mais l'aide familiale est ferme : « C'est pour toi, Jocelyn, c'est toi qui doit choisir ce que tu aimes ». Monsieur semble inquiet par rapport à son alimentation, il hésite : « pas trop de charcuterie, hein, je ne peux pas ». L'aide familiale est certaine qu'il n'a pas de souci de santé, elle pense qu'une collègue aura fait une réflexion, mal interprétée par Monsieur : « C'est malin, après, ça va me prendre un temps fou pour qu'il accepte de manger ».