1. À la Rivière : peu de liens entre personnes soignées et soignantes   (Chapitre 8)  Imprimer
Résumé
Une description des lieux et de leur usage ainsi que l'observation d'un temps d'activité permettent de mettre en évidence le caractère limité des liens entre personnes soignées et soignantes, ce qui fait contraste avec ce qui a été observé à Ste Monique.
Description
  • Types d'acteurs : Aide soignant.e
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) :
  • Concept(s) : Institution totale, Rites d’interaction
  • Lieu d'observation: Centre (de soins) de jour
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: La Rivière
  • Date d'observation: décembre 2011
  • Numéro de page du livre : 181
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Le centre « La Rivière » (pseudonyme) est un centre de soins de jour qui fait partie du CPAS d'une commune bruxelloise. Il dépend – comme tous les centres de soins de jours – d'une MR au sein de laquelle il se trouve et dont le directeur est aussi le responsable hiérarchique de la directrice de la Rivière. Vu son appartenance à un CPAS, un certain nombre de décisions sont prises par le Conseil de l'action sociale (élu par le conseil communal au départ de propositions faites par les partis représentés au conseil communal), en particulier les décisions d'admission et de fin de l'accueil. Le centre n'est pas spécialisé pour l'accueil de personnes démentes même si de fait, entre la moitié et les trois-quarts des personnes accueillies ont reçu ce diagnostic. Pour être admis au centre, il faut soit être diagnostiqué dément soit souffrir d'une dépendance physique (pour la toilette/l'habillage et les déplacements). Le fait que des personnes sans troubles cognitifs étaient accueillies rendaient les jeux de type quiz d'autant plus sélectifs (les personnes dans ce cas monopolisant l'attention des soignant·e·s en charge de ces jeux).
Contexte Méthodologique
J'ai passé au centre deux fois une semaine deux années consécutives (en décembre 2011, puis en janvier 2013). En décembre 2013, j'y ai passé deux journées pour comprendre ce qui se passait avec Mme Donckers qui allait en être exclue.
Vignette
 

Alors qu'à la Rivière, la cuisine est ouverte sur la salle de séjour où se tiennent les personnes accueillies, j'observe que nulles d'entre elles n'y entrent et ne sont invitées à le faire, comme si une frontière invisible en limitait l'accès. Une table située un peu à l'écart du centre de la salle est celle réservée au temps de midi des soignant·e·s, avec néanmoins des exceptions, comme lorsque Mme Donckers qui bougeait pendant l'heure de la sieste a été invitée par Marc à s'y asseoir avec une revue. Le bureau de la directrice, situé dans la maison de repos mais en dehors du centre lui-même, n'est jamais occupé par les personnes accueillies ni par d'autres professionnel∙le∙s. Sauf pendant les activités, les soignant·e·s se mêlent peu aux personnes accueillies. Cela me frappe beaucoup le premier jour de mon arrivée. Pendant tout le temps de l'accueil (de 9 à 10h30) où la télé marche en permanence, seule une bénévole et moi sommes assises avec les personnes accueillies pour bavarder avec elles, alors que les deux soignantes présentes ce jour-là discutent à la cuisine. J'observerai le même phénomène à plusieurs reprises. C'est parfois même pendant l'activité que les soignant·e·s se mettent à discuter entre eux·lles, comme par exemple en décembre 2012. Vers 10h15, on éteint la télé, on met les chaises en cercle… et les soignant·e·s se mettent à bavarder, essentiellement entre eux·lles : Sylvie (l'ergo) raconte, de façon amusante, mais en s'adressant aux autres soignant·e·s, une chasse aux souris dans son appartement, puis le voyage que Mariella (une aide-soignante) et elle ont fait à Rome. Pendant ce temps, une dame tricote, une autre peint des figurines (ce qu'elle fait beaucoup en centre), la troisième dort, une dernière a l'air de suivre. Deux personnes nouvellement accueillies sont complètement hors du coup, l'une des deux est inquiète et proche de la colère. La première demande à la seconde : « Vous connaissez ces gens ? » L'autre : « Non, je ne connais personne, c'est mon médecin qui m'a placée ici. » Sa voisine lui explique dans un discours très confus que ce sont ses parents qui l'ont amenée. Les quatre soignant·e·s continuent à parler entre eux·lles, sans associer les personnes accueillies ni se préoccuper du fait qu'elles ne suivent pas la conversation, voire, manifestent leur anxiété.

Rappelons que dans « Asiles » [1968], E.Goffman considère la limitation des contacts entre « reclus » et « surveillants » comme une des caractéristiques des « institutions totales ».