1. Le détail de la séance de kiné respiratoire : un désagrément quotidien   (Chapitre 4)  Imprimer
Résumé
On assiste à une séance de kiné respiratoire, inconfortable pour Mme Paquot sans pour autant faire insulte à son statut d'adulte. Elle sera analysée dans le contexte de l'ensemble des soins infligés à Mme Paquot comme excès de soin, l'entretien de la vie devenant une « fin-en-soi » (J.Dewey)
Description
  • Types d'acteurs : Kinésithérapeute
  • Type d'acte : Soins respiratoires
  • Thème(s) : excès de soin
  • Concept(s) : Fin en soi/fin en vue
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Paquot
  • Date d'observation: octobre 2011
  • Numéro de page du livre : 90
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Paquot ne parle plus depuis plusieurs années, de temps à autre – rarement – un son s'échappe de sa bouche. Elle a été diagnostiquée malade d'Alzheimer treize ans auparavant et a 83 ans lorsque je la rencontre (monsieur 79). Depuis une chute ayant entraîné une fracture de la hanche il y a 5 ans (et pour laquelle elle a fait un séjour dans une unité de revalidation), elle ne marche plus et ne tient debout qu'avec une aide importante, proche du portage. Depuis lors, des infirmier·ère·s passent deux fois par jour pour faire la toilette de madame, la lever et la coucher. Un kiné vient deux fois par semaine pour la mobiliser, des aides familiales au même rythme pour faire les courses essentiellement et un kiné respiratoire quotidiennement sauf le week-end avec une machine facilitant l'élimination des glaires. Le couple a eu deux enfants, un fils chirurgien dont monsieur me parle avec fierté, qui a lui-même 4 enfants et joue un rôle important pour identifier les soins requis, et une fille en institution de soins depuis un accident grave qui l'a laissée invalide. Monsieur ne m'en parlera que lors du premier entretien. Mr Paquot a été gendarme, en retraite depuis 25 ans, madame couturière jusqu'à la naissance de leur deuxième enfant.
Contexte Méthodologique
J'ai été mise en contact avec les Paquot par le service infirmier qui y intervient : Mes sources sont constituées d'un entretien avec monsieur en septembre 2011, suivi de deux observations, une en octobre 2011, lors du passage d'une infirmière pour la toilette et du kiné respiratoire (deux heures), l'autre en avril 2012 lors de l'intervention du kiné travaillant la mobilité de Mme Paquot (30 minutes). En décembre 2011, j'ai participé à une réunion de l'équipe infirmière intervenant chez les Paquot. Divers coups de fil (avec Mr Paquot et les infirmières/kiné) ont préparé ou suivi ces temps d'observation.
Vignette
C'est le fils de Mr Paquot qui a trouvé un kiné spécialisé dans la prise en charge des problèmes respiratoires qui passe tous les jours de la semaine. Pendant 15 à 20 minutes, il envoie à l'aide d'une machine (« qui vient d'Amérique » précise Mr Paquot) de l'air sous pression via un masque qu'il retient manuellement contre la bouche de Mme Paquot. Son visage gardera ensuite une marque rouge pendant quelques minutes. Cet air sous pression permet de ventiler et de décoller les glaires. Pendant cette opération, Mme Paquot bouge à certains moments, grimace, semblant manifester un inconfort. Le kiné l'encourage : « encore un peu de patience, Mme Paquot ! » …et continue. De temps à autre, il sent de la main à quelle hauteur le poumon est encombré (m'explique-t-il). Après avoir éteint sa machine – passablement bruyante comme on s'en doute – il pousse fortement sur la cage thoracique de Mme Paquot et va ensuite chercher les glaires (qu'elle ne peut plus expectorer) en appuyant sur sa langue. Avec un Sopalin, il ramasse les glaires sur la langue, proche de la bouche de Mme. Il travaille à mains nues après s'être lavé les mains. Est-ce parce que j'en suis un peu retournée ? Il m'explique : « c'est un peu particulier d'aller chercher les glaires comme ça. Avec les enfants tout petits, on fait ça aussi mais c'est moins difficile. Maintenant, elle comprend quand je fais ça » (je suppose qu'il veut dire qu'elle le laisse faire sans en être effarouchée ?) A un moment, il s'arrête et demande à Mr Paquot de lui donner à boire : « ça l'aidera à avaler ce qui est sorti. Et puis, ses gencives saignent. » Quand il s'en va, il salue Mme en lui caressant légèrement le nez. En plus de cette séance quotidienne sauf les WE – dont Mr Paquot me dira : « sauf si elle a fait des fausses déglutitions le WE, elle ne va pas plus mal le lundi » - son encombrement est traité par 3 aérosols (à 15h, 18h et 22h). De façon minimale mais appropriée à son statut d'adulte, le kiné s'adresse à Mme Paquot essentiellement pour la saluer en début et en fin de séance. Il est néanmoins attentif à son inconfort en y réagissant verbalement (sans interrompre la séance) ou en lui proposant de boire.