2. Partager un bon moment ou être tranquille ?   (Chapitre 1)  Imprimer
Résumé
Dans cet extrait d'entretien avec Mr Donckers, celui-ci raconte comment sa femme apprécie les émissions politiques à la télé. A partir de là, il évoque la façon dont il se représente le fonctionnement cognitif de son épouse et dont il apprécie pour lui-même ce moment de tranquillité. C'est à la fois par cette vision de la personne malade et par la façon de vivre avec elle que ce passage fait contraste avec le récit proposé par Mr Levesque du temps passé devant la messe du dimanche à la télé, renvoyant à d'autres figures du respect.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) : Manière de voir et de vivre avec la personne
  • Concept(s) : Figures du respect
  • Lieu d'observation: Centre (de soins) de jour
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Donckers
  • Date d'observation: février 2012
  • Numéro de page du livre : 47
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mme Donckers est une institutrice pensionnée (elle a fait toute sa carrière dans l'enseignement spécial) qui vit avec son mari à leur domicile (une maison d'une belle banlieue de Bruxelles). Ils ont deux fils, peu présents dans l'accompagnement de leur mère. Mme est née en 1940, son mari en 1941. Elle n'avait aucun problème de santé jusqu'en 2008, où elle fait des crises d'épilepsie, suite auxquelles elle est hospitalisée pendant 2 mois, d'abord dans un hôpital universitaire, ensuite dans un centre de revalidation neurologique qui estimera que rien ne peut être fait pour elle. Aucun diagnostic clair ne sera posé ou du moins transmis au proche (dans le dossier du centre je lirai : « détérioration cognitive massive fronto-temporale »). Pour son mari : « c'est de la démence ». Suite à cet épisode, Mme Donckers est restée aphasique. Il peut lui arriver de parler dans des circonstances particulières, par exemple avec ses fils au téléphone mais est mutique la plupart du temps. Parfois elle laisse échapper un début de phrase très vite interrompu, ou une exclamation, à moins qu'elle ne jargonne à mi-voix. Elle déambule beaucoup, aime manipuler les objets qu'elle « range » à sa façon (au désespoir de son mari et des professionnel·le·s du centre) et aime aider dans les activités ménagères (en dépit de ses difficultés à le faire). Lorsqu'ils sont ensemble chez eux, Mr Donckers passe l'essentiel de son temps à « surveiller » son épouse (c'est le terme qu'il utilise), en la suivant dans ses déplacements tout en tentant de restreindre son activité de « rangement ». En 2008, après le temps d'hospitalisation, Mr Donckers a trouvé un centre de jour, d'abord pour une journée par semaine, puis assez rapidement pour trois jours semaine. Un jour par semaine, Mr et Mme Donckers passent la journée chez la sœur de Mme. Une fois tous les 15 jours, Mme Donckers a rendez-vous chez une logopède pour une séance de 30 minutes. Une fois par mois, une garde vient s'occuper de Mme pour une journée du WE. Deux fois par an, la même garde vient passer 3 à 5 jours pour permettre à Mr de partir en vacances. Celui-ci a renoncé aux passages d'infirmières pour faire la toilette de son épouse quand il a constaté l'irrégularité de leurs horaires.
Contexte Méthodologique
J'ai rencontré Mme Donckers pendant les deux fois une semaine que j'ai passées au centre de jour qu'elle fréquente (en décembre 2011, puis en janvier 2013). J'ai rencontré son mari une fois seul (février 2012), puis une fois en compagnie de son épouse (novembre 12). Lorsque je reprends contact en novembre 13, Mr Donckers vient d'apprendre que le centre de jour a décidé d'arrêter l'accueil de son épouse (ce que j'ignorais en l'appelant) et Mr semble alors prêt à institutionnaliser celle-ci. Il ne souhaitera plus poursuivre sa participation à ma recherche. A ma demande, j'ai revu Mme Donckers deux jours durant le dernier mois qu'elle passe au centre.
Vignette
L'histoire que me rapporte Mr Donckers, dont l'épouse est, comme Mme Levesque, assez agitée, peut sembler à première vue analogue, portant sur une émission de télévision qui focalise l'attention de la personne malade : « Parfois, elle peut être très calme, c'est très curieux. Il y a certaines émissions qu'elle apprécie beaucoup, par exemple, je vous le donne en mille… quand elle voit Sarkozy ! Elle regarde jusqu'au bout et parfois elle sourit. Ou alors le dimanche midi, l'émission « Mise au point ». C'est une émission politique, elle ne la rate pas ! Moi non plus, parce qu'alors, on est tranquille pendant toute l'émission, qui dure quand même de 11h30 à 13h ! Elle regarde. Ce qu'elle comprend, je ne sais pas, mais elle est intéressée. (…) Donc, il y a malgré tout une activité cérébrale, même si elle ne peut pas s'exprimer, je crois qu'il y a encore des cases qui fonctionnent bien. » Au-delà du rapprochement apparent, notons deux différences de taille dans la façon dont Messieurs Levesque et Donckers considèrent leur compagne et le temps passé ensemble devant la télévision : là où le premier a cherché et apprécie ce moment partagé, le second y voit surtout une occasion d'être enfin tranquille ; là où le premier reconnaît à son épouse l'aptitude à être touchée par une atmosphère de spiritualité, le second réifie sa femme par une évaluation de son activité cérébrale censée expliquer son comportement.