Deux activités importantes au quotidien : aider dans le ménage, marcher   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Comment Mr Donckers va-t-il parvenir à soutenir deux activités importantes pour son épouse : aider dans les activités ménagères et marcher ? Une forme de continuité de l'identité genrée et la possibilité de l'accès à l'espace public sont deux des questions soulevées.
Description
  • Types d'acteurs : Kinésithérapeute, Proche
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) : Accès à l'espace public, Activités, Manière de voir et de vivre avec la personne, Respect des préférences
  • Concept(s) : Agentivité, Disposition genrée, Expérience
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Donckers
  • Date d'observation: décembre 2011; janvier et décembre 2013
  • Numéro de page du livre : undefined
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Je rencontre Mme Donckers dans un centre de jours d'un CPAS à Bruxelles. C'est une institutrice pensionnée (elle a fait toute sa carrière dans l'enseignement spécial) qui vit avec son mari à leur domicile (une maison d'une belle banlieue de la ville). Ils ont deux fils (dont l'un habite à 2h de Bruxelles). Mme est née en 1940, son mari en 1941. Elle n'avait aucun problème de santé jusqu'en 2008, où elle va faire des crises d'épilepsie, suite auxquelles elle est hospitalisée pendant 2 mois, d'abord dans un hôpital universitaire, ensuite dans un centre de revalidation neurologique qui estimera que rien ne peut être fait pour elle. Aucun diagnostic clair ne sera posé (dans le dossier du centre je lirai : « détérioration cognitive massive fronto-temporale »). Suite à cet épisode, Mme Donckers est restée aphasique (il peut lui arriver de parler dans des circonstances particulières, par exemple avec ses fils au téléphone mais est mutique la plupart du temps, parfois elle laisse échapper un début de phrase très vite interrompu, ou une exclamation à moins qu'elle ne jargonne à mi-voix) et présente une série d'autres troubles. En 2008, après le temps d'hospitalisation, Mr Donckers a très vite trouvé un centre de jour, d'abord pour une journée par semaine, puis assez rapidement pour trois jours semaine. Un jour par semaine, Mr et Mme Donckers passent la journée chez la sœur de Mme. Une fois tous les 15 jours, Mme Donckers a rendez-vous chez une logopède pour une séance de 30 minutes. Une fois par mois, une garde vient s'occuper de Mme pour une journée du WE. Deux fois par an, la même garde vient passer 3 à 5 jours pour permettre à Mr de partir en vacances. Celui-ci a renoncé aux passages d'infirmières pour faire la toilette de son épouse quand il a constaté l'irrégularité de leurs horaires.
Contexte Méthodologique
J'ai rencontré Mme Donckers pendant les deux fois une semaine que j'ai passées au centre de jour qu'elle fréquente (en décembre 2011, puis en janviers 2013). J'ai rencontré son mari une fois seul (février 2012), puis une fois en compagnie de son épouse (novembre 12). Lorsque je reprends contact en novembre 13, Mr Donckers vient d'apprendre que le centre de jour a décidé d'arrêter l'accueil de son épouse (ce que j'ignorais en l'appelant) et Mr semble alors prêt à institutionnaliser celle-ci. Il ne souhaitera plus poursuivre sa participation à ma recherche. A ma demande, j'ai revu Mme Donckers deux jours durant le dernier mois qu'elle passe au centre.
Vignette

Comme Mr Donckers le souligne lui-même : « elle veut toujours aider ». Quelque chose d'une identité genrée de care giver, sans doute renforcée par sa carrière d'institutrice, fait que Mme Donckers continue à faire les gestes du soin.  Comment Mr Donckers va-t-il soutenir cette volonté d'aider ? Il me raconte :

Pour être libre quand elle n'est pas là, je cherche ce que je dois faire dans le ménage et que je peux faire avec elle : je fais maintenant pas mal de petite vaisselle à la main. Alors, elle est à côté de moi, elle essuie. Je vérifie avec quoi. »

Comme il parle avec enthousiasme de la garde qui parvient à trouver des occupations avec elle, dont la cuisine (la garde lui a dit que sa femme coupe facilement les légumes pour la soupe), je lui demande si lui-même ne cuisine pas avec elle :

« Non, c'est trop compliqué, elle m'aide pour la vaisselle. Je garde expressément de la vaisselle à faire à la main. »

Il m'explique qu'il fait aussi systématiquement les courses avec elle, ce qu'elle aime et qui ne pose pas de problème :

Comme un enfant, elle prend parfois au passage quelque chose dans les rayons, mais quand je lui dis que ce n'est pas bon, elle accepte de remettre de bonne grâce. Elle est assez souple même si elle a sa volonté. »

Autre habitude qu'elle a et qu'il trouve plus problématique :

« Ce qu'elle fait aussi, c'est de « ranger », càd de mettre les objets un peu n'importe où. Ce que j'ai déjà perdu…et retrouvé, c'est incroyable ! Si par malheur un sac traîne, elle met dedans des cuillères, ou ce qui lui passe par la main. Au début je lui demandais : « mais pourquoi tu fais ça ? » Maintenant j'ai compris que ça ne servait à rien et je laisse faire. »

Autre type d'activité à laquelle Mme Donckers est très attachée : la marche. Mr Donckers m'explique que la marche était leur hobby commun, que lui poursuit maintenant seul (càd sans elle) avec des amis. Notons qu'il est intéressant de constater que ce que dans le cadre du centre de jours est qualifié de déambulation (par moi aussi) est codifié ici autrement (en partie). Comment Mr soutient-il cette envie de marcher de son épouse ? Il m'explique que tous les soirs, ils font un tour du bloc ou plus si son épouse n'est pas trop fatiguée, vu que c'est un moment où elle souvent assez agitée. Plus généralement :

« Elle a aussi pour le moment un peu de kiné parce que malheureusement, avant c'était une grande sportive mais vu son problème elle est vite fatiguée. Elle marche de moins en moins. Elle a pris du poids et je vois qu'elle a plus de difficulté à marcher. Ce sont ses muscles extenseurs qui commencent à fatiguer. Alors je ne peux pas me promener plus d'un quart d'heure, vingt minutes avec elle. Ou alors il faut s'asseoir et ce qui est curieux parfois, elle a l'air vraiment épuisée, on rentre à la maison au lieu de s'asseoir, ouf elle s'agite, elle galope dans tous les sens. [Rires] Je ne la comprends pas très bien mais enfin bon c'est comme ça. »

Cette promenade quotidienne n'épuise pas l'envie de marcher de Mme que Mr va dès lors tenter d'empêcher, en particulier si cela implique de sortir de sa vue (il m'explique comment il l'empêche ainsi de monter à l'étage) et a fortiori de sortir de la maison (depuis qu'elle s'est perdue dans le quartier, l'été qui a suivi ses crises d'épilepsie, Mr ferme toujours la maison à clé).

Mr Donckers me parle d'autres activités que son épouse aime faire et qu'il soutient :

« J'ai laissé l'abonnement qu'elle avait à « Femmes d'aujourd'hui ». Elle lit : elle sait encore lire mais je ne sais pas ce qu'elle comprend de ce qu'elle lit. Quand elle aime bien, elle arrache parfois les pages. Ou ce qu'elle aime aussi, ce sont le albums photos. Alors j'en descends un de temps en temps. Evidemment, certains ont un peu souffert – elle enlève certaines photos- mais c'est comme ça. »